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vendredi 6 avril 2018

Le dernier stade de la soif, Frédérick Exley, éditions Monsieur Toussaint Louverture, 13


La réédition de ce grand texte par les éditions Monsieur Toussaint Louverture est une occasion rêvée de le mettre à l'honneur.

Le dernier stade de la soif, c'est l'histoire d'une écriture, celle qui donnera lieu à ce roman hors-norme au style fort et percutant. Dans les années 1950, Frederick Exley est, il faut bien le dire, un pauvre type en marge de la société américaine. Il force sur la boisson, adule l'équipe des Giants et n'a pas l'air a priori très gentleman avec les femmes. C'est pourtant de ce personnage, mesdames et messieurs, dont vous allez tomber amoureux, en suivant ce tempérament à la fois bourru et vulnérable, qui nous fait part d'anecdotes puisées aussi formidablement dans le plus plat des quotidiens que dans un hôpital psychiatrique ou une vie de famille très mouvementée. On sait dès le départ que l'on va suivre une destinée qui nous ressemble et nous dérange : Frederick est un passionné de football américain, tellement qu'il ne rate pas un seul match des Giants et que la défaite de son équipe peut mettre son moral en berne pendant plusieurs jours. Tellement que lorsque son père décède, on hésite à comparer ce drame à une banale défaite sportive. Il est plus facile en effet de faire exploser sa colère lors d'un échec au score final que lorsque son paternel quitte ce monde en laissant derrière lui un fils frustré de ne jamais avoir eu le temps et le courage de lui déclamer sa jalousie : son père, grand champion admiré de tous, a toujours laissé Frederick en position d'infériorité.

Frederick mènera alors toute sa vie par procuration, en trouvant réconfort dans l'alcool qui est le seul des remontants efficaces, et ce malgré des rencontres folles et décisives à des moments clés.

Entre roman initiatique et récit de vie, Le dernier stade de la soif voit naître un écrivain de talent, qui sait mêler l'argot à une profonde poésie. Entre New York et Chicago, à la frontière entre deux villes comme à la croisée de plusieurs genres et plusieurs émotions, ce roman est un immense coup de cœur littéraire et humain.

samedi 28 novembre 2015

Recherche femme parfaite d'Anne BEREST

Recherche femme parfaite d'Anne BEREST aux éditions Grasset ,19 euros.

Une photographe parisienne pense avoir trouvé le sujet qui lui fera remporter le prestigieux concours de photographie d'Arles. Ne lui manque que les modèles qui incarneront son idée. La première personne qui lui vient à l'esprit semble dotée de toutes les qualités requises, il s'agit d'une amie proche que notre jeune photographe découvre hélas dans une situation quasi inverse à ce qu'elle attendait. Peu importe, l'idée suit son chemin et nous emmène plus loin, vers une autre femme recommandée par l'amie déficiente et qui, pour une autre raison, ne conviendra pas.

C'est au comptoir du bar d'un hôtel de luxe à Paris que la "vraie" rencontre se fera. Notre héroïne (facilement ivre à moins que ce ne soit fréquent, nous ne le saurons pas), gâche sa séance de pose et perd toute trace de son modèle. Cruellement déçue et passionnément amoureuse à la suite de cette fugace entrevue, notre artiste maladroite entame une recherche désespérée qui la conduira à Venise dont le portrait de vieille rombière décatie, croulant sous la vulgarité touristique, ne manque pas de sel.

Alors, qui de Julie, Marie, Alizée, Francesca, Zelda, Jenane, Mademoiselle, Yuko, Maryame, Victoria, Maud, Nana ou Véronique sera l'heureuse élue qui trônera dans la salle Van Gogh d'Arles ?
Pimentés par cette constellation de femmes potentiellement admirables, nous suivons la réflexion d'Anne Berest que la féminité interroge. 
On n'ose alors couvrir d'éloges son roman dans la crainte (?) de passer pour sexiste et pourtant, cette histoire regorge de moments beaux, drôles, intelligents, légers, profonds, espiègles, savoureux, pertinents, parisiens. Parisiens, oui.

samedi 21 novembre 2015

L'homme océan de Sylvie CASTER

Recto
L'homme océan de Sylvie CASTER aux éditions du Seuil, 7,90 euros.

Maintenant que le bassin d'Arcachon a repris son visage hivernal, quelques hommes rugueux continuent malgré tout d'en arpenter les eaux, s'affairant à gagner tout simplement leur vie.
Certains d'entre eux, pour ne pas dire la plupart, ont pour profession l'ostréiculture mais il reste une poignée, peut-être moins, qui pêche la moule.

Sylvie Caster en a rencontré un, elle en explique les circonstances au moment de clore son ouvrage qui se résume en un portrait façon pelure d'oignon dont on ne voit évidemment pas la fin.
Jean-Marie Baudry -nous répète t-elle à l'envie- n'est pas un homme sympathique mais il contient une part de mystère, une vie obscure et difficile qu'il mène à l'endroit où le bassin devient (enfin) dangereux (quand il affronte l'océan).

Ici, on dit "les passes" qu'il arrive de ne pas passer. Jean-Marie aime cet endroit, la nuit de préférence parce qu'il s'agit d'abord de ne pas communiquer sa position à la (maigre) concurrence et aussi de trouver là où se nichent les moules, ce qui est sa motivation première, le côté excitant du métier.

Le livre de Sylvie Caster propose de comprendre cette profession si particulière qu'est la pêche. Jean-Marie l'a pratiquée sous de nombreuses formes et celle de la moule aujourd'hui lui convient, il sait ce qu'elle lui procure comme liberté.

Ce portrait de Jean-Marie Baudry, à petites touches, prend forme sur le papier, il se nuance. Celle qui l'observe et le questionne retire des informations de celui qui n'a jamais cherché à plaire et qui n'a pas eu beaucoup, non plus, de grandes joies dans la vie.

Ce livre est un peu l'histoire d'une rencontre proche de la Belle et la Bête ou de Tarzan et Jane et, pourquoi pas, de King Kong tenant une actrice hollywoodienne dans la main. L'histoire, en bref, de tout ce qui fait s'attirer les extrêmes.

L'homme océan ressemble aussi à une figure tauromachique dont le but serait l'accouchement d'un livre qui (pour une fois) parlerait autrement du bassin. 
Ecrit par une native d'Arcachon qui a pris son élan journalistique à Charlie Hebdo puis au Canard enchaîné dans les années quatre-vingt, L'homme océan effectue de la part de son auteur un retour aux sources très intéressant. 
Ce dernier point est d'ailleurs un élément crucial à l'élaboration du livre où quelque chose de simple et fort passe à la lecture. Il concerne l'évolution d'un lieu. 
Un lieu qui unit d'une façon très subtile le portraitiste au "portraituré".

Rien d'innocent donc à ce que ce livre soit sorti dans la collection Raconter la vie au Seuil qui honore sans fard et sans reproche une activité qui continue de se passer ici d'une manière invisible ou presque.

Sylvie Caster nous a fait le plaisir d'accepter l'invitation que nous lui avons lancée le mois dernier. Nous aurons donc la joie de l'accueillir très bientôt en décembre. Nous y reviendrons.

samedi 15 mars 2014

Le désordre AZERTY d’Eric CHEVILLARD aux éditions de Minuit, 17 euros.

 Pour qui veut étudier l’œuvre d’Eric Chevillard d’ici quelques années lointaines, après sa mort par exemple (mais gare !  l’homme est toujours en pleine forme et de nombreux livres sont encore à venir), gageons que celui-ci fera date pour la quantité, que dis-je, pour la mine d’informations que l'on peut extraire à propos de l’auteur, de sa vie, de son œuvre. 
Effectivement, dans le désordre de cet étrange arrangement figurant l’alphabet sur les claviers des ordinateurs, nous apprenons beaucoup d’Eric Chevillard. Nous retiendrons, avant tout, une rage formidable et grandissante envers quelque chose que l’on pourrait nommé modernité mais celle-ci paraissant elle-même aujourd’hui démodée, le terme de mondialisation semblerait plus proche, et  celui de bêtise plus adapté car Eric Chevillard qui ne côtoie pourtant guère la sphère politique produit néanmoins et peut-être même sans le savoir tel, ni même s’en émouvoir, une force politique qu'il représenterait et derrière laquelle s’engageraient, à corps perdu, des troupes fanatiques plus ou moins silencieuses. Pour le dire simplement, si quelques uns ne savent pas pourquoi ils n’aiment pas Chevillard l’inverse est impossible.
Eric Chevillard depuis toujours dénote considérablement dans le paysage littéraire français. Les critiques l’admettent. Pourtant, ses fulgurances verbales émanent d’une tradition française que l’on peut encore aujourd'hui nomme  le style.
Et vous voici expédiés  à la page 88 de ce Désordre AZERTY on l'on trouve une définition du termes, après quoi vous serez libre de penser ce que bon vous semble.

Le STYLE est un phénomène remarquable d’abord en cela que la spontanéité et la sophistication n’y sont point inconciliables, contrairement à ce que l’on observe dans les salons, et que celle-ci précède celle-là en dépit du bon sens, pourrait-on dire. En effet le style n’est pas une faculté innée, on en perçoit rarement les inflexions futures dans le cri primal de l’écrivain nouveau-né. C’est une voix qui, plus ou moins longtemps, se cherche. Le style se dégage peu à peu de la gangue de la langue commune. L’écrivain dit s’en doter comme de son épée le chevalier des contes, mais – à moins de demeurer dans l’imitation d’un maître-, il y va sûrement, d’instinct, il finit par le trouver : et c’est bien le sien, à nul autre (exactement) semblable. C’est une originalité séparée de l’origine par des années d’apprentissage, de décantation, de fermentation ou de raffinage, de tâtonnements, mais qui est pourtant au commencement de tout, dont la maîtrise enfin marque le départ de l’œuvre. Le style est la langue natale de l’écrivain : le pays suit, l’espace intellectuel et sensible qu’il ordonne. Si singulier et élaboré soit-il en regard de la langue utilitaire dont il s’est démarqué, le style doit alors être tenu pour naturel. Il l’est devenu, comme le geste si complexe (si peu enfantin) de faire un nœud devient finalement une évidence. Il ne relève pas d’un quelconque exercice, patient et forcené, comme on le croit volontiers, il ne se donne pas en spectacle, il ne soucie pas de virtuosité ; il est tel ; l’effort serait de le juguler, de le contenir.

samedi 24 août 2013

Concerto pour la main morte d'Olivier Bleys



Concerto pour la main morte d’Olivier BLEYS aux éditions Albin Michel, 18 euros.

Le village sibérien dans lequel Olivier Bleys expédie son lecteur, demeure un des endroits - de plus en plus rare -  les plus exotiques de la planète, là où l’isolement se maintient, ne serait-ce dans l’imaginaire collectif.
Effectivement, là-bas à Mouravales autochtones n’attendent quasiment rien de la venue des bateaux qui accostent à la bonne saison avant de repartir par le fleuve vers d’autres villes plus importantes. Si ce n’est l’épisode du départ manqué car bien mal préparé d’un de ses plus originaux habitants, à Mourava, on retourne vite à sa bouteille de Vodka.
Olivier Bleys ayant savamment préparé le terrain à celui qui n’est attendu par personne, débarque d'un des bateaux, un français avec la volonté de le perdre tout en lui attribuant un piano. Cet artiste, grandement méconnu, emménage illico chez le plus accueillant des villageois, celui-là même qui n’a pas réussi à partir...
Le conte est lancé, Olivier Bleys trame avec talent  le destin éprouvé de son pianiste, ce naufragé volontaire au cœur de la Sibérie. Pittoresque et sensible, le Concerto pour la main morte confronte avec bonheur, rudesse et délicatesse, art et sauvagerie et parvient à résoudre son intrigue en touchant à l’insolite.
Reste que l’auteur, ayant voyagé lui-même en ces contrées mythiques et lointaines, témoigne que l’exercice lui a été profitable en publiant un roman pleinement divertissant.

samedi 23 mars 2013

Misty de Joseph INCARDONA

    Misty de Joseph INCARDONA aux éditions Baleine, 16 euros.

    Dick Tracy chez David Lynch, c'est ainsi que l'on pourrait (par exemple) identifier le nouveau roman de l'ami Incardona. Ce ne serait qu'une des multiples sources d'inspiration de l'auteur qui revisite à sa façon (très personnelle) le mythe du detective américain (officiant en Californie). Mais beaucoup d'autres indices permettent de (re)trouver les influences de ce roman hors-norme curieusement libre de toute attache bien qu'il s'avance sur un terrain miné de toutes parts.
    En effet les clichés abondent dans l'univers de Misty et Sam Glockenspiel, son héros grande gueule qui se sacrifie sur l'autel de l'autodérision, s'arrange pour les convertir  en outrances que ne renierait pas Quentin Tarrantino (mais Joseph Incardona n'y fait pas allusion, il pioche bien plus en arrière entre les années 30 et 50).
    Cependant, Sam Glockenspiel est un contemporain, il est Le détective (le moins attirant) sur les trois cent neufs recencés à Los Angeles que choisit l'intrigante Milady, une richissime femme qui l'engage pour retrouver une clé. L'affaire paraîtrait simple si elle n'était truffée d'intrusions (dans le scénario) d'une encombrante rivale (qui désire également s'emparer de la clé) qui n'est autre que la soeur jumelle de la commanditaire.
    Dès lors il faut s'accommoder du chemin de croix entamé par le looser magnifique qu'est Sam Glockenspiel. Sa vie repose sur un amour défunt dont il espère la reconquête via les messages qu'il envoie à une emission de radio de Jazz. Chaque nuit il téléphone à l'animateur Vernon (Sullivan !) et lui communique le titre d'une chanson destinée à la femme aimée.
    En marge de cette quête amoureuse Sam doit règler la somme de problèmes (plus improbables les uns que les autres) qui entravent lourdement sa mission.
    Prévenons toutefois certaines âmes sensibles que certaines scènes meurtrières ou érotiques pourraient les choquer mais elles n'entament nullement la force de Joseph Incardona qui enchaînent les "évènements" avec une virtuosité stylistique confondante.
    Sous le label "roman noir américain" Joseph Incardona propose une forme parodique réjouissante mais l'exercice va bien plus loin et engage l'auteur vers un vibrant et magnifique hommage.

samedi 16 mars 2013

Adèle et moi de Julie WOLKENSTEIN

Couverture Adèle et moi de Julie WOLKENSTEIN aux éditions POL, 22 euros.

Adèle et moi est  un voyage à Saint Pair dans la Manche où l’on s’éprend de la luminosité et de l’aspect changeant du paysage au gré des marées et de la course des nuages. Ce lieu qui est vécu en profondeur par la narratrice, correspond à une maison habitée essentiellement l’été depuis 1871 par une famille bourgeoise dont la figure tutélaire se nomme Adèle qui est l’arrière grand-mère de l’auteur.
De ce récit dont on ne sait s’il s’articule comme un roman ou un essai, se dégage une enquête qui remonte le temps, la maison de Saint-Pair représentant un ilot protecteur laissé en héritage par le père d’Adèle. Celui-ci, en effet, est mort dans les Landes lors d’une partie de chasse, précipitant la jeune Adèle dans des responsabilités que lui incombe la fortune laissé par son père.
Julie Wolkenstein dissèque les enjeux de cette vie bourgeoise, elle en décrypte les codes tout au long d’une période qui s’apparente à celle de Marcel Proust ou d’Henry James (l’auteur peut en revendiquer uneappartenance littéraire de par son étude publiée en 2000 sous le titre de La Scène européenne : Henry James et le romanesque en question aux éditions Honoré Champion).
Mais cette vaste entreprise (romanesque ?) familiale qui s’étend sur 600 pages est aussi une traversée minutieuse de l’intimité féminine, de son imaginaire, de ses fantasmes que Julie Wolkenstein incorpore à sa propre vie située à l’extrémité d’une lignée dont elle consigne les évènements.
La réussite de l’ouvrage tient à ces aléas familiaux caractérisés par une époque dont le charme vaut par le sentiment désuet qu’elle procure. Les morts et les naissances se succèdent et si parfois on se perd en route, de nombreuses réjouissances nous réconcilient à la multitude des personnages. Seule la fin déroute, l’acrobatie mentale de l’auteur voulant rétablir le pouvoir de la fiction, affaiblit l’ambition du projet. Cette pirouette n’annule pas heureusement tous les plaisirs rencontrés sur la côte normande à la recherche du rayon vert.

samedi 2 mars 2013

Un notaire peu ordinaire d'Yves Ravey


Couverture
Un notaire peu ordinaire d’Yves Ravey aux éditions de Minuit, 12 euros.

C’est aux confins d’une province éminemment chabrolienne qu’Yves Ravey a installé ce formidable roman. Dans une petite bourgade d’apparence bien anonyme, le retour de Freddy suscite une crainte immédiate de la part de sa cousine, madame Rebernak qui voit débarquer d’un œil mauvais ce « revenant ».
Effectivement, Freddy sort de prison. Il a payé sa dette mais madame Rebernak ne veut plus le voir. On a beau lui dire que Freddy désormais est libre de se rendre où il veut, elle exige, soupçonneuse, que jamais il ne s’approche de Clémence Rebernak, la fille de madame.
Pas plus la police, l’éducateur ou encore le notaire ne la convaincront que Freddy n’est pas d'autorité un récidiviste et qu'il faut lui laisser une deuxième chance.
Le notaire, justement, est un homme conciliant, un vieil ami de la famille qui allait chasser avec monsieur Rebernak. D’ailleurs, après la mort accidentelle de monsieur Rebernak, il a aidé madame à trouver un emploi mais aussi, il veille sur Clémence Rebernak qui fréquente Paul le propre fils de monsieur le notaire.
Inutile d’aller trop loin vers l’avènement dramatique qui se prépare. Cela nous est mieux servi par la narration ciselée du fils de madame Rebernak qui, toujours en retrait, ne saura pas plus contrarier les évènements.
Chaque mot semble être pesé dans un laboratoire pour en mesurer son intensité puis expédié dans cette noire chronique qui voit madame Rebernak circuler assidûment sur son cyclomoteur, incarnant par-là et avec majesté, la dignité populaire sujette à l’adversité. Monsieur le notaire, quant à lui, est le symbole épatant d’une bourgeoisie confite dans sa condescendance et sa soi-disant invulnérabilité.
Leur confrontation n’en sera que plus mémorable.

samedi 23 février 2013

Couverture
Bleus horizons de Jérôme GARCIN aux éditions Gallimard 16,90 euros.

Chimérique est celui de Jean de la Ville de Mirmont, bleus sont ceux de Jérôme Garcin. Ainsi commence l’hommage du second pour le premier, mort en novembre 1914 sur le front sans horizon d’une sale guerre bientôt centenaire.
Mort à 35 ans, les œuvres de Jean de la Ville de Mirmont se tiennent en un roman (Les dimanches de Jean Dezert), un recueil de poésie (L’horizon chimérique), quelques contes et une maigre correspondance.
Jérôme Garcin reconstitue par la création d’un ami ayant vu mourir le poète, le parcours épars de ce héros né à Bordeaux un an après François Mauriac.
Mauriac, justement, entre dans le décor des années parisiennes de Jean de la Ville de Mirmont et l’ami imaginaire relate son voyage à Malagar de nombreuses années après. Jérôme Garcin l’expédie aussi à Annecy, Bordeaux et Deauville, toujours à la recherche de témoins de la vie et de l’œuvre du disparu des tranchées. Ainsi, L’horizon chimérique est abondamment cité et si l’on s’éprend des sentiments abimés du poète on ne saisit pas vraiment son ardeur paradoxale au combat qui s’affiche en contrepoint de ses élans vers les terres lointaines inspirées par les départs et les retours des bateaux à Bordeaux.
Jean de la Ville de Mirmont reste, comme son nom l’indique, une énigme.

samedi 16 février 2013

L'énigme de Saint-Olav d'Indrek HARGLA

L'énigme de Saint-Olav, Indrek HARGLA, aux éditions Gaia, 22€

A l'aube du XVème siècle, à Tallinn, port estonien de la Baltique, où cohabitent chevaliers teutoniques et marchands du port de la Hanse, un fléau menace l'équilibre de la communauté. Au terme d'une soirée bien arrosée, un capitaine de la garnison est sauvagement assassiné et le meurtrier rôde toujours dans la ville.
Le bailli de la ville fait alors appel à la perspicacité de Melchior, l'apothicaire. Ce dernier trouve d'étranges indices sur le lieu du crime. Meurtre crapuleux ou conspiration? L'apothicaire aura fort à faire pour démêler l'énigme de Saint-Olav. Au-delà du roman policier, l'auteur brosse une peinture saisissante de la Tallinn médiévale, aujourd'hui très visitée.
Un roman envoûtant qui navigue entre mythe et réalité.

Le prix à payer de Nick McDonell


Couverture

Le prix à payer de Nick McDONELL aux éditions Flammarion, 21 euros.

En Somalie, c’est à dire loin de tous les regards, un village subi une attaque dirigée par des militaires.
Des femmes et des enfants meurent.
Un témoin du massacre s’efforce de ne pas signaler son identité aux soldats qui l’approchent. Il va lui falloir jouer serré pour ne pas éveiller les soupçons. En effet, le dénommé Teak est officiellement un employé d’une association pour la protection des oiseaux, une couverture qui le protège de ses activités pour le gouvernement américain. Si les arcanes de la politique extérieure américaine vous rebutent, arrêtez-vous là. Sinon plongez dans cette histoire avec délice.
L’espionnage des années 2010 vu par Nick McDonell s’attache sans surprise à de multiples connexions censées régir, par exemple, une révolution armée. Pas de grand spectacle pour autant, l’explosion initiale dans le village somalien est le seul véritable fait d’arme du roman. Teak n’apparait que par intermittence au profit de Susan Lowell, professeur d’université d’Harvard et fraîchement récompensée par le Pulitzer. Hélas l’enquête qu’elle a menée sur le leader du mouvement de libération somalien et qui lui a valu son prix, bat de l’aile. L’homme qu’elle a promu défenseur des libertés pourrait n’être qu’un terroriste responsable de la tuerie vu par Teak.
Nous sommes donc ballotés par des séquences africaines et américaines. D’un côté le danger d’être un américain en Somalie, de l’autre, la complexité de la politique internationale menée par les États-Unis.
Nick McDonell arrose ce cocktail d'une somme d’étudiants d’Harvard avides d’une carrière et anxieux d’intégrer un club, de trouver un stage ou encore de subir les pressions et les manipulations du monde universitaire.
Si le rythme du livre demande un peu de temps pour démêler les différents parcours de ses personnages, chaque situation se révèle passionnante pour un sujet ambitieux, conçu avec un sens élevé de réalisme.

samedi 26 janvier 2013

Poisons de Dieu, remèdes du Diable de Mia COUTO

http://lapage.unblog.fr/files/2013/01/mia-couto037.jpg 
Poisons de Dieu, remèdes du Diable de Mia COUTO aux éditions Métailié, 17 euros.

La simplicité des choses n’est, comme toujours, qu’apparente, surtout, et avant tout, dans les rapports humains. Voilà pourquoi le titre du dernier livre de Mia Couto supporte un énoncé a priori contradictoire et que le roman effeuille et met à nu des sentiments pourtant bien dissimulés.
C’est, en bonne et due forme, un docteur qui, dans une petite ville mozambicaine, rend une visite journalière à son patient préféré. Ensemble, toute frontière, toute distance, semble avoir disparue. Le malade reste calfeutré chez lui et observe le monde depuis sa fenêtre. Il a vieilli avec une femme plus jeune qui est devenue sa gouvernante. Il souffre d’un mal étrange, proche de la Saudade, la mélancolie portugaise.
Le docteur, lui, est de Lisbonne, une ville connue du patient qui vogua de nombreuses années sur un navire de croisière dont il était le mécanicien. Depuis quelques années, le docteur officie sur ce bout de terre ayant appartenu au Portugal avec la suspicion qui sied à la couleur de peau de l’ancien colonisateur.
Les rapports entre le docteur, le malade et sa femme paraissent immuables mais les secrets les plus enfouis ne demandent qu’à être révélés car la maladie ne donne plus le choix et les remèdes ne peuvent contenir plus longtemps les poisons de l’âme. Au fil des visites, chacun soulève un pan de son histoire, jouant ou se jouant de l’autre avec des conciliabules, des confidences et des révélations chaque fois un peu plus suspectes.
Ainsi le docteur lui-même cache son intérêt à se rendre chez le couple qui, en retour, déroule un aspect désastreux de leur vie.
Le passé de chacun tient dans un mille-feuille où s’est nichées des amours inassouvies.
Toute la réussite du roman de Mia Couto ne peut être résumée à cette présentation. Il manque la poésie et l’humour pittoresque de Mia Couto qui, derrière les propos parfois terribles de ses personnages, veille avec douceur, sourire et sensualité. Atteindre cela tient du grand art.
« A dix ans, on nous dit tous qu’on est intelligent mais qu’on manque d’idées personnelles. A vingt ans, ils disent qu’on est très intelligent mais qu’on la ramène pas avec des idées. A trente ans, on pense que plus personne n’a d’idées. A quarante ans, on trouve que les idées des autres nous appartiennent toutes. A cinquante ans, on pense avec suffisamment de sagesse pour ne plus avoir d’idées. A soixante ans, on a encore des idées mais on oublie ce qu’on était en train de penser. A soixante-dix ans, le seul fait de penser nous fait dormir. A quatre-vingt ans, on ne pense que quand on dort. »

samedi 19 janvier 2013

Le marathon d'Honolulu d'Hunter S. Thompson


Le Marathon d'Honolulu Le marathon d'Honolulu d'Hunter S. Thompson, éditions Tristram, 7.95 euros

Gloire aux éditions Tristram et à leur collection Souple pour la publication du Marathon d’Honolulu !
L’énergumène pris en photo sur la couverture du livre est HST lui-même dans le courant des années 80. C’est à cette époque, en plein boom de ce qu’on appelait le jogging, qu’il se rendit, en freelance, chroniquer l’atypique marathon d’Honolulu.
Journaliste célébré pour son récit au pays des Hell’s Angels, HST considère cette virée aux îles d’Hawaï comme une occasion rêvée de prendre un mois de vacances, tous frais payés et, en prime, un salaire mirobolant pour la couverture de cette course dont il ne saisit pas la motivation des milliers de concurrents qui n’ont, tout compte fait, aucune chance de l’emporter. En sus, il est prévu qu’il se rende sur une île de l’archipel nommée Kona et prendre du bon temps en pêchant, par exemple.
HST est accueilli à l’aéroport d’Honolulu par un homme proche de la démence qui l’embarque à bord de sa Ferrari GTO garée par pure provocation devant le hall d’arrivée.
Hawaï est, à ce moment-là, dominée par la violence samoane, coréenne voire vietnamienne. HST nous enseigne toujours sur la particularité significative des faits divers locaux en y contribuant parfois lui-même… Ses frasques alcoolisées le rendent assez vite célèbre partout où il se rend.
Boire, se droguer et attendre que le marathon passe sous les fenêtres de son hôtel pour enfin rendre hommage à la dizaine de coureurs ayant le potentiel pour gagner, puis HST s’envole pour Kona avec un ami anglais qu’il a convaincu de le rejoindre depuis Londres.
Ici commence les vrais ennuis. Le lieu n’est absolument pas idyllique, pire, un ouragan s’annonce. L’ami anglais et sa petite famille sont traumatisés par les abats d’eau qui menacent la villa qui leur est prêtée. Les pêcheurs du coin sont plus que maussades en raison de leur saison touristique gâchée. HST en rajoute en organisant une sortie suicidaire en mer. La dépression gagne et HST qui incorpore de nombreux extraits du livre de Richard Hough, Le dernier voyage du capitaine James Cook (découvreur d’Hawaï), picole tant et plus et fume quantité de marijuana puis s’embrouille avec la majorité de la population locale. Tout cela est racontée de la plus réjouissante des façons jusqu’au morceau de bravoure qui clôture le livre mais dont on peut douter de la véracité des faits. Cependant, cet épisode épique propulse HST dans la légende hawaïenne par la diabolique narration de sa pêche miraculeuse d’un marlin.
Quoi, vous ignorez ce que sont les marlins ?
Lisez HST, immédiatement !

samedi 12 janvier 2013

La classe de rétho d'Antoine COMPAGNON

La classe de rétho
d’Antoine COMPAGNON aux éditions Gallimard 19.90 euros.



Le récit autobiographique, sous la plume d’Antoine Compagnon, procède par un aveu final qui est à l’origine de l’exercice et qu’il situe à l’aéroport de New-york. Effectivement, c’est un nuage volcanique islandais, qui a déclenché les souvenirs de l’auteur de sa première année en classe de rétho.
Dès lors, l’élève Compagnon dessine sobrement le portrait d’une France ébranlée par la perte de l’Algérie, ceci vécu de l’intérieur, dans une école provinciale et militaire vouée à la désignation de ses officiers.
Très vite, le nouvel arrivant rejoint, après les cours, le clan des anciens, dirigé par le grand Crep’s qui occupe une fonction de contre-pouvoir. Celui-ci déniaise Compagnon par son grand art du ridicule à l’encontre des surveillants.
Ces mémoires affectives et sensibles contiennent de nombreux mots et expressions « retrouvés » et rendent compte d’une violence particulière de la jeunesse des années soixante. Mais Antoine Compagnon effectue aussi de nombreux allers-retours dans le temps et offre une réflexion sur la destinée de ses camarades de chambrée. Le grand Crep’s notamment incarne avec surprise une grande difficulté d’existence et Damiron, l’autre figure prépondérante de cette école, laisse entrevoir un sombre avenir que nul ne pouvait pour autant prédire.
L’importance de cette classe de rétho dans la vie d’Antoine Compagnon, bien qu’il ne soit pas devenu militaire*, resurgit à sa façon déterminée de plier ses vêtements aujourd’hui encore, une séquelle parmi d’autres mais significative.

*Antoine Compagnon est un professeur et un historien de la littérature française né le 20 juillet 1950 à Bruxelles en Belgique. Fils du général Jean Compagnon (c.r.) et de Jacqueline Terlinden, ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur des Ponts et Chaussées, docteur d’État ès lettres, Antoine Compagnon est un critique littéraire à la fois héritier et critique du structuralisme, dont le chef de file fut Roland Barthes. Professeur de littérature française à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) et à l’Université Columbia (New York), il fait partie depuis mars 2006 du Haut Conseil de l’éducation et a été élu en avril 2006 professeur au Collège de France. À partir de 2009, il fait partie du jury du prix de la BnF.
(source Wikipédia).

samedi 1 décembre 2012

Le bruit des choses qui tombent de Juan Gabriel VASQUEZ


 Le bruit des choses qui tombent de Juan Gabriel VASQUEZ aux éditions du Seuil, 20 euros.


La ville de Bogota, capitale de la Colombie, est une ville d’altitude, froide et nuageuse, peuplée d’hommes et de femmes au caractère complexe. L’auteur nous en fait part, du moins son narrateur, l’un et l’autre étant nés dans cette cité.
Bogota semble toujours assommée par ses années de plomb amorcées avec l’avènement des cartels de la drogue. Des années 70 où le trafic de la cocaïne prit son envol jusqu’aux terribles années 90, Bogota et toute la Colombie avec Medellin en point d’orgue furent une épouvantable carte postale de l’ère des narcotrafiquants.
Le problème s’est depuis quelque peu déplacé vers le Mexique.
L’histoire que nous conte Juan Gabriel Vasquez prend en considération ces évènements au point d’en faire un élément moteur de l’intrigue. Mais ils appartiennent  au passé, au contexte historique de la nation colombienne comme s’il fallait les intégrer pour mieux en assumer les conséquences.
Le professeur de droit, qui va prendre en charge bien malgré lui cet héritage, se penche et s’interroge sur la vie d’un homme qu’il a côtoyé un temps avant que celui-ci ne meure brutalement à ses côtés. Il s’agira pour lui de recomposer le puzzle laissé derrière lui et de pénétrer en profondeur l’histoire de son pays.
A très juste titre on a évoqué, à propos du Bruit des choses qui tombent, une sublime histoire d’amour qui pourrait par ailleurs parfaitement occulter tout ce qui a été écrit jusque là. Ce bon professeur de droit ouvre maints tiroirs débordants de sentiments parfois même jusqu’à la caricature quand la boîte noire d’un avion de ligne sert d’ultime lien avec la personne aimée.
Mais tout concourt, et de manière admirable, à ne pas succomber au pathos, Juan Gabriel Vasquez garde la bonne distance en empruntant la voie de l’incertitude. Ses personnages conservent une imperméabilité peut-être propre à la Colombie. Ils ont un amour hésitant, ils ne souhaitent pas se perdre, ils craignent le malheur, ils gardent pour eux quelques secrets et font ainsi toute la beauté de ce livre.

samedi 10 novembre 2012

Le prix FEMINA étranger 2012

Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie OTSUKA aux éditions Phébus, 15,00 euros.


Écoutez-les ! aurait pu dire Nathalie Sarraute car elles sont multiples, elles grouillent…
Il s’agit des paroles de celles qui, en vrai, n’ont certainement pas pu la prendre, de celles qui, arrivées par bateau depuis leur Japon natal, …n’avaient jamais vu la mer.
C’étaient des adolescentes qui rejoignaient leur mari qu’elles n’avaient jamais vu sinon par photos à condition que celles-ci correspondent bien à celui qui les attendait.
Leurs interrogations, leurs secrets, leurs espoirs, leurs désillusions… sont consciencieusement rapportés par la grâce de l’écriture de Julie Otsuka, elle-même aiguillée par une masse de documents répertoriés à la fin du livre.
On imagine aisément les liens unissant l’auteur à cette communauté qui s’expatria aux États-Unis au début du XXème siècle et qui s’implanta sur la côte de l’océan Pacifique avant que le conflit avec le Japon ne la rende suspecte et la déplace mystérieusement dans des camps.
Au dernier chapitre, Julie Otsuka donne voix aux américains pour exprimer la perte et le vide social laissés par les japonnais.
Ce roman aurait pu être moralisateur, ce sujet méconnu de la Seconde Guerre mondiale s’y prêtait grandement mais, bien au contraire, il se révèle vivifiant, parsemé d’instantanés souvent jubilatoires et compose avec le mode de vie des immigrés vu par leur femmes. Certes la dureté de l’existence transparait comme une évidence mais au même titre que la ténacité et la valeur du travail des japonais confrontés au modèle américain dont le racisme à cette époque est une nouvelle fois manifeste.
Tout paraît vrai dans ces vies anonymes perturbées par les mouvements de l’Histoire. Julie Otsuka a réussi à la perfection son travail de broderie. Son tableau, riche et varié, représente l’esprit toujours vivant d’une communauté qui eut le tort d’être au mauvais endroit au mauvais moment.

Deux garçons bien sous tous rapports de William CORLETT par Olivier de Marc

Deux garçons bien sous tous rapports de William Corlett, collection Pavillons poche aux éditions Robert Laffont 10,90€

Imaginez : Bellingford, tranquille petit village anglais, ses châtelains très « comme il faut », sa verdure et …son château. Jusque là tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Seulement, les nouveaux acquéreurs du château sont, quelle horreur, deux hommes : Richard, producteur de théâtre et Bless son jeune et pétulant amant. Inutile de vous dire que cette arrivée va faire souffler un vent de folie sur cette très conservatrice bourgade.
Doté d’un humour très british et d’une plume corrosive, William Corlett nous offre un roman réjouissant sur la tolérance. Des personnages bien campés, des situations très cocasses font de ce livre un véritable vaudeville. L’auteur combine habilement légèreté et profondeur et nous fait réfléchir sur la différence, les fausses apparences et l’hypocrisie. A noter, un final éblouissant.
A l’heure du débat sur le mariage des homosexuels, voila une lecture très distrayante et bien plus instructive que beaucoup de « réflexions » remplies de naphtaline ou pire complètement moisies de bon nombre de nos politiques. Lisez ce livre à l’heure du thé mais attention pas avec des pains au chocolat. Soyez anglais, vous avez le choix : cake, petits gâteaux secs…

Olivier de Marc