Incarcéré vers 1965 à Budapest, Andrew Szepessy nous livre réflexions, anecdotes, instantanés sur la vie de sa cellule. On y découvre pour la plupart des hommes arrivés là par hasard, dont les histoires sont par essence différentes mais dont la vie s'arrête soudainement de la même façon : réunis dans cette cellule, à l'instant présent, ils se lient d'une amitié sous-entendue, bien entendue. Car on entend leurs voix, à tous ces hommes, et dès les premières pages :
Nous sommes restés ainsi plus longtemps que nous n'avions le désir de le supputer, avec pour seule compagnie de rares échos venus du monde extérieur. Le temps nous broyait toujours plus inexorablement dans son poing de granit, chaque instant s'écoulant encore plus lentement que le précédent. Nos pensées se sont immobilisées comme notre corps [...] Le poil hérissé et les mains moites, j'ai levé les yeux du bois rayé de la table pour regarder à la ronde dans la cellule. Avec une spontanéité sidérante, ses traits burinés adoucis par l'émotion, le nouveau venu s'était mis à chanter de tout son cœur. Chacun savait pourquoi, non par plaisir, ni pour lui, ni pour nous, mais parce qu'un trop-plein s'était accumulé en lui et devait en sortir. Parce que le chant était son seul recours pour survivre à cette nuit.
On ne saura jamais véritablement la raison pour laquelle Andrew Szepessy a été mis en prison. Sa double nationalité hongro-britannique y est certainement pour quelque chose, nous apprenons en effet dans la postface que le KGB aurait tenté pendant sa détention de faire de lui un espion.
De cette expérience de vie naîtra cette oeuvre originale au narrateur touchant et attachant. La plume de l'auteur hongrois relie des hommes au passé sulfureux ou sage, qui par leur origine et leurs opinions se retrouvent ensemble dans cette cellule. Réflexions philosophiques, trafics en tout genre, amitiés fortes, conseils avisés, les hommes s'entraident et s'associent spontanément. C'est cet aspect qu'Andrew Szpessy retient de ces années, en y ajoutant l'humour, moteur luttant contre le quotidien et la morosité. Si la trame de ce roman se déroule majoritairement entre quatre murs, le lecteur ne se sent jamais "confiné". Au contraire, ces anecdotes contées en disent beaucoup sur la Hongrie des années 60, et sur ce qui se passe de l'autre côté du rideau de fer.
Aux éternels perdants résonne aujourd'hui par une force qui nous invite à rester résolument légers et optimistes.