Herzl, une histoire européenne de Camille de TOLEDO et Alexander PAVLENKO aux éditions Denoël Graphic, 25,90 euros.
Herzl débute par le récit d’un garçon nommé Ilia Brodsky.
Vers la fin du XIXe siècle s’est produit une radicalisation de la Russie envers le peuple juif après l’assassinat du tsar Alexandre II. On nomma cela des pogroms. Ilia fut une victime de cet exil forcé qu’il vécut en compagnie de sa sœur Olga. Le voyage commença depuis une ville qui appartenait au vaste territoire qui allait de la mer Baltique jusqu'à Odessa et que l’on appelait la « zone de résidence ». Olga et Ilia, orphelins, ont parcouru par le train une distance qui les mena via la Hongrie jusqu'à Vienne. C’est là que se produisit la furtive rencontre avec la famille Herzl. Ce croisement inopiné des deux personnages principaux du livre est sans conséquence, il restera malgré tout un curseur capital dans la vie d’Ilia.
Theodor Herzl et Ilia sont séparés par deux ou trois générations. Le premier pour qui nous commençons à nous intéresser, nous éloigne d’Ilia Brodsky dont le destin court cette fois jusqu'à Londres. Herzl, lui, est un viennois issu d’une famille aisée qui va soudainement compatir au sort de tous les juifs chassés de la Russie. Pour lui, il manque une terre, un état, une nation au peuple juif. Son idée sera peu à peu partagée par des intellectuels comme son ami et futur porte parole Max Nordau. L’idée d’un état juif progressera après l’affaire Dreyfus. Elle gagnera du terrain auprès de différentes associations qui se créeront dans le but de parvenir à cet état juif auquel il faut trouver une terre. Theodor Herzl obtiendra des soutiens venus d’Occident comme celui d’Edmond de Rotschild. Mais l’espoir le plus fort sera justement en l’Europe de l’Est là où les pogroms s’intensifient.
Ilia qui ne rencontrera plus jamais Herzl va cependant s’éprendre de sa pensée et de sa vie. Il aura l’opportunité de questionner son plus proche ami Max Nordau. Ilia comprendra alors l’importance de la vie familiale de Theodor Herzl et du rôle joué par sa soeur défunte, Pauline. Ce point de comparaison avec son propre isolement depuis le départ d’Olga pour l’Amérique est un ressort essentiel au processus d’identification engagé par Ilia.
Le choix de la Palestine comme terre d’accueil pour les juifs sera à maints égards problématique et pourtant évident. Le sionisme est né.
Cette approche intellectuelle d’un mouvement majeur et pourtant peu connu de l’Histoire est porté par une ambition et une rigueur sans faille. Le choix d’en avoir fait un roman graphique n’affaiblit en rien le projet. Bien au contraire, il enrichit le propos, lui confère une authenticité et un esthétisme qui allège un propos, au demeurant austère, à partir d’une pensée complexe et non dépourvue d’éléments contraires. Herzl aura lutté sa vie durant au mépris de sa santé, de sa femme et aussi de ses enfants pour atteindre un objectif qui ne se réalisera pas de son vivant.
Ilia, de la même manière, plonge dans un océan de perplexité. L’identité juive, le mythe du juif errant, est ainsi exploitée par le chemin sans but et parsemé de questions qu'Ilia entreprend son parapluie ouvert dans les rues de Londres. L’image finale d’un exil sans fin.