Dans nos langues de Dominique SIGAUD aux éditions Verdier, 14,80 euros.
Connait-on Dominique Sigaud ?
Dans nos langues est la meilleure façon de faire connaissance, d'apprendre d'elle, de ses ressentis.
Enfant, avec cette chose unique qui nous est donnée à tous, la langue, elle a reçu, entendu, échangé cette part fascinante de l'humain. Cet enregistrement primaire qui (re)surgit tout au long de ce livre inscrit ce dernier dans un acte d'écriture majeur.
C'est par sa mère que Dominique Sigaud reçoit ses premiers enseignements. Une intonation inhabituelle de la part de celle qui, à l'âge de trois ans, lui parle et la protège. Cette fois-là, l'enfant comprend que sa mère, en s'adressant à une voisine, a changé sa voix. Une demande, sans doute, un peu gênée, redevable, et voilà l'enfant saisi pour la première fois par une chose jusque là ignorée et qui va l'accompagner sa vie durant, le langage.
Le rapport au père, difficile, lui vaudra d'entamer une analyse. Des études littéraires la mèneront vers des carrières différentes, à Paris bien sûr. Le journalisme, enfin, l'enverra au Liban dans les années quatre-vingt puis en Algérie en 1990, en ex-Yougoslavie en 1992, au Soudan, au Rwanda, bref, on comprendra que Dominique Sigaud s'est rendue en des lieux où massacres, famines et autres cataclysmes humains se sont déroulés.
Mais Dominique Sigaud, par l'ensemble des livres qu'elle a publiés, des articles qu'elle a rédigés à titre indépendant, s'est toujours attachée à restituer une langue, celle des offensés comme celle des offenseurs. Les gamins d'Algérie torturés, les affamés du Soudan, les militaires du Rwanda, les chrétiens de Beyrouth-est et les musulmans de Beyrouth-ouest, cette intrépide reporter les a rencontrés et a retranscrit leur langue qui témoigne.
Dans cette vie sous tension dont on ne peut tout dire en quelques lignes, il n'est pas question d'économie de moyens, le livre tenant en une centaine de pages, mais d'une aptitude littéraire hors norme.
Conçu dans l'adversité, la langue émancipatrice de Dominique Sigaud a compris son pouvoir et l'importance de sa maîtrise. Il lui faut remonter à Marguerite Duras et L'homme assis dans le couloir, pour reconnaître la langue personnelle d'un auteur et saisir sa liberté et son intelligence.
Voilà l'héritage qui a constitué Dominique Sigaud écrivain.