Les feux de Saint-Elme de Daniel CORDIER aux éditions Gallimard, 16, 50 euros.
Ce récit de Daniel Cordier est, à plus d'un titre, un "document" sorti des mémoires d'un homme que l'Histoire a consacré et qui s'est lui-même consacré à l'Histoire.
Si Daniel Cordier a tu cet épisode de sa vie si longtemps, toutes les raisons nous sont fournies à la fin de l'ouvrage. Elles ne sont peut-être pas les principales car tout au long du récit, nous comprenons aisément la difficulté rencontrée par l'auteur pour nous raconter, avec la plus touchante sincérité, l'épreuve sexuelle de sa jeunesse.
Le document, lui, nous intéresse car l'essentiel se situe à Arcachon, à Saint-Elme précisément, institution scolaire toujours active et dont nous savons l'étendue nationale de son aura. C'est en visitant les lieux que l'on peut s'en persuader.
Les amours de Daniel Cordier s'y sont déroulées de 1928 à 1936, le jeune homme entre à Saint-Elme à l'âge de huit ans en tant qu'interne. Il ne regagnait la maison familiale, à Bescat village pyrénéen au sud de Pau, que pour les vacances. Sa mère était divorcée et il ne voyait son père qu'en de rares occasions, celui-ci fut remplacé par son beau-père, homme aux principes rigides qui surveillait de près les lectures du jeune Daniel.
Or, ce sont ses lectures qui embrasèrent sa sensualité et les sentiments que Daniel Cordier eût pour certains de ses camarades. Le Cahier gris de Roger Martin du Gard, tiré des Thibault est le premier texte que Daniel perçoit comme une traduction absolue de ses élans amoureux. C'est auprès de son ami David Cohen qu'il vit un amour exalté et néanmoins secret. En effet, à Saint-Elme, l'ordre religieux veille mais ne peut totalement empêcher que la communauté de garçons, comme dans tout autre établissement scolaire, enfreigne les règles et ne s'adonne, comme partout ailleurs, à des jeux interdits.
Daniel Cordier retrouve là et à merveille, l'usage d'un vocabulaire bien éloigné du nôtre car ce dernier s'est affranchi depuis de nombreux tabous qui étaient très présents à l'époque. C'est d'ailleurs dans les livres, et toujours dans les livres qu'il achète - disons-le- à la toute jeune Librairie Générale tenue par Madame Gauthereau, une "alliée", que Daniel Cordier apprend à nommer et à reconnaître ce qui l'oppresse. André Gide, Marcel Proust puis Céline (longuement cité) sont les découvertes notoires qui l'aide à surmonter les passions honteuses qui l'assaillent.
Aimer le beau David soit, mais cet amour régit par un caractère volcanique, orgueilleux et impatient se révèle problématique. Vient alors le temps où Daniel Cordier s'en remet à Dieu et se confesse..
C'est ici que commence la partie la plus prenante de cette histoire, Daniel Cordier restitue avec une grande rigueur morale, des tourments stimulés par sa mémoire. Le rythme de l'écriture prend des allures tout à fait romanesques, on éprouve les mêmes attentes, angoisses et déceptions que l'auteur et cela jusqu'à la dernière partie du livre, tout à fait inattendue, qui nous entraîne dans le journal intime de Daniel Cordier de ses années adultes de 1950 à 1995.
Bien plus qu'une curiosité, ce livre est essentiel dans la compréhension d'un homme que la postérité retiendra comme un résistant historique nommé Caracalla(1).
(1) en folio, première partie des mémoires de Daniel Cordier : Alias Caracalla.