On n’entre pas à moitié dans les poèmes de Helder. On le fait de la tête et des épaules, du sexe et des jambes, il y faut un don absolu de soi, celui que requiert un escarpement à franchir, car au début on y ressent fortement l’inconfort de cette syntaxe sillonnée d’arcs
électriques aussi bien que de souffles nocturnes glacés.
Le corps, un temps, résiste. Puis, surmontées les concrétions de langage, on découvre de l’animé innommé, et quand s’ouvrent ses vers parfois de totale obscurité, on y chemine en respirant la nuit vaste au dedans.
Les rêves sont aussi réels, aussi vrais que la vie, mais la vie ne l’est pas plus que les rêves. Il y a indifférence totale dans le spectral. S’éveiller ou s’endormir n’apportent, n’enlèvent rien. Ce n’est plus un être vivant qui passe d’un état à l’autre, ce sont ses visions qui, indifféremment, le traversent comme elles passent le prisme
qui les divise et les étale, comme elles franchissent les frontières abolies du jour et de la nuit.
Ce que suggère assez cet art particulier de la variation où n’est jamais varié que l’accidentel, pour souligner sans doute que l’essentiel même n’est qu’accident. En apparence l’être de l’homme.
Désormais on est en mouvement, on est entré dans le mouvement d’un poète qui, peut-être comme Michaux, écrit pour se parcourir, et, qui le fait notamment en se tenant au plus près des phénomènes mobiles ; le temps, les minéraux, la course de la lumière.
"Le regard est une pensée.
Tout fond sur tout, et ce tout, j’en suis l’image.
Retourné le jour montre ses brûlures,
la lumière chancelle,
la beauté est une menace.
- Je ne puis écrire plus haut.
Intérieures, se transmettent les formes."
Tout fond sur tout, et ce tout, j’en suis l’image.
Retourné le jour montre ses brûlures,
la lumière chancelle,
la beauté est une menace.
- Je ne puis écrire plus haut.
Intérieures, se transmettent les formes."
"Je voulais toucher la tête d’un léopard fou, son luxe
maxillaire. Sentir mes doigts devenir
de granit. Sentir le fascinant
remous de poil
bas ravir furieusement mes cinq doigts.
Comme cinq boules de granit.
Une étoile voltaïque.
L’avaler. Et sentir soudain toute cette pourpre nocturne
me pénétrer, de la main à la face.
Ou une blessure qui m’emportât une jambe puis l’autre.
Sentir entrer en moi
la fable de la démence et de l’élégance
animale. Je sais que le sang me ponctue, et je tressaille
par tous mes pores
avec la sueur de tout cet or qui m’empoisonne."
(Le poème continu)
"Des ongles aux étincelles dans les cheveux. Si la planche
ployait et que le galbe, lentement mesuré,
de soie, l’arc de bas marbre lumineux,
fût le trait d’union d’un pôle
à un autre, points
d’une force terrestre
redoutable. L’espace entre deux noms :
moi et le monde, monde et poème, poème et naissance.
Ou la mort, substantif qui rayonne.
La ligne verbale qui luit sous les doigts,
toute-puissante dans le monde du marbre à coudre les
organes
de la phrase charnelle.
Il me fut donné une fois, le don, et je ne sais plus.
Lieu qui fait écho à un autre sur le papier, je ne sais pas.
Sa raucité lorsqu’il était frappé par le souffle de Dieu,
qui s’écrivait ainsi : le sanglot.
Mort, ici, en un poème, derrière, devant,
mort avec sa musique."
(Le poème continu)
Traduction de Magali Montagné et Max de Carvalho.
Traduction de Magali Montagné et Max de Carvalho.
De son vrai nom, Luis Bernardes de Oliveira, Herberto Helder est né à Funchal (île de Madère) le 13 novembre 1930. Après des études de Droits puis de Philosophie à l'université de Lisbonne entre 1953 et 1955, il publie son premier recueil en 1958, le très remarquable L'amour en visite.
De 1959 à 1961, il part en exil dans le nord de l’Europe pour échapper au régime dictatorial de Salazar. A son retour au Portugal, il travaille comme journaliste dans la presse écrite ainsi qu’à la radio et à la télévision. Au début des années soixante-dix, il découvre l’Afrique à l’occasion du conflit d’Angola, où il effectue des
reportages.
Considéré comme l’un des poètes majeurs de la deuxième moitié du vingtième siècle, il vit actuellement à Lisbonne, loin des feux des médias et des honneurs qu’il refuse (le prix Fernando Pessoa).
Son deuxième recueil, La cuiller dans la bouche (1961), rassemble des poèmes écrits entre 1953 et 1960. En 1963, Herberto Helder publie un livre de proses et de nouvelles Les pas en ronds. En 1979 paraît la première édition de Photomaton & Vox, une écriture poétique en prose alternée avec dix poèmes en vers.
Son livre le plus récent est Le poème continu (2001).
Thierry ACOT-MIRANDE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire