Un vieil homme se penche sur son passé et c'est le climat étouffant d'une petite ville de la Nouvelle Angleterre, dans les années 20 du siècle dernier qui, petit à petit, s'installe dans le récit comme une langue envahissante de brume maléfique. La beauté discrète de la nouvelle prof d'art plastique, Elisabeth Channing, trouble le jeune narrateur, Henry, fils du directeur du lycée de garçons. Très vite, on comprend qu'un drame terrible est survenu dans les mois qui suivirent l'arrivée de la jeune femme. Mais le roman n'en dévoile la trame qu'au compte-gouttes, instillant avec une délicatesse quasiment machiavélique, l'écheveau de l'histoire et la noirceur de sa trame.
Le lecteur ne sait pas trop ce qu'il faut louer le plus, une fois le livre refermé: le caractère presque fantastique du décor, cet étang retiré de la ville près duquel loge Elisabeth, dans une petite maison isolée; et non loin, celle d'un prof du lycée, un certain Reed, peu heureux en ménage et rescapé de la grande guerre. On aimera aussi les rêveries tumultueuses de l'adolescence qui saisissent Henry, assistant à la naissance d'un amour interdit par l'ordre bienséant du monde, et souhaitant en favoriser le développement porté comme il l'est par une force de jugement aussi naïve qu'aveugle. La description délicate d'autres protagonistes rehausse la profondeur de l'histoire: c'est la figure du directeur, homme plus bienveillant et lucide que ne le pense son fils, ou bien celle de Sarah, la jeune domestique irlandaise, pleine d'une avide et indomptable fraîcheur d'apprendre. Comme la peinture de ces tableaux qu'affectionnent tant Elisabeth et aussi son jeune élève, le récit du drame se construit par touches successives, comme l'assemblage d'un puzzle qui ne livre son secret que dans les dernières et redoutables images, suscitant l'admiration devant la technique romanesque, et obligeant presque le lecteur à revenir en arrière, bluffé comme il l'a été par ce nouveau roman de Cook.
Bernard Daguerre
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