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vendredi 25 juin 2021

Les heures furieuses de Casey Cep

Les heures furieuses de Casey Cep, éditions Sonatine, 22 euros. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cindy Colin-Kapen.

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En Alabama, à la fin des années 70, un procès très attendu commence, celui de l'assassin de Willie Maxwell. Ce dernier, révérend noir américain d'abord accusé de cinq meurtres, est ensuite abattu de sang froid lors des funérailles de sa fille. Pour chacune de ses victimes présumées, le révérend clamait son innocence et recommençait une nouvelle vie. Son assassin met fin à cette série infernale.

Robert Burns, l'assassin en question, est défendu par un avocat au passé tumultueux, revenu de l'ombre après un engagement politique qui a viré au cauchemar. Lors du procès, une écrivaine prend des notes et commence à nourrir son prochain livre: une certaine Harper Lee, auteur du livre culte Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur

Ces trois pistes - la vie du révérend, celle de l'avocat et celle d'Harper Lee - s'emboîtent à merveille dans ce récit écrit par une toute jeune autrice. Casey Cep s'appuie sur toutes les sources possibles (notamment celles des divers procès) pour instaurer une enquête littéraire dans une affaire de mœurs. Le mystère reste entier : comment Willie Maxwell a-t-il échappé à la justice? Pourquoi Harper Lee n'a-t-elle jamais pu faire paraître un roman sur cette affaire, elle-même galvanisée par sa relation amicale -mais aussi rivale- avec Truman Capote?

Littérature et Histoire s'entremêlent dans un récit à suspens magistralement écrit pour qu'à aucun moment le lecteur ne se perde. Les Heures furieuses se lit comme un roman, basé sur une réalité qui, quarante ans après, ne cesse de passionner.

vendredi 18 juin 2021

Je préfère ne pas d’Alain SCHIFRES

Je préfère ne pas d’Alain SCHIFRES aux éditions Dilettante, 15 euros.

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« L’humanité vient d’un milieu défavorisé, n’oublions jamais ça. C’est par un snobisme de parvenu, avec l’esprit de revanche du boursier, qu’elle se lance dans l’atome, la conquête de l’espace, etc., négligeant du même coup d’inventer le bouchon verseur. Combien de siècle se sont-ils écoulés avant qu’elle eût l’idée toute bête de mettre des roues à ses valises ? Et combien d’années faudra-t-il encore pour qu’elles cessent de faire ce bruit insupportable ? »


Celui qui profère ces évidences un tant soit peu cruciales pour l’humanité donc, appartient à l'encore trop peu célèbre association des « évitistes ». Ce livre fort plaisant aura tout loisir de développer la théorie de « l’évitisme ». Dérivée du « Je préfère ne pas » de Bartleby qui garde d'ardents défenseurs chez quelques heureuses personnes telles qu’Alain Schifres. 

 

Cet écrivain est susceptible de réjouir aussi bien Frédéric Beigbeder : « Sous ses dehors farceurs, le petit livre rose de M.Schifres réhabilite un sport national : le mauvais esprit. En ce domaine il est un orfèvre. », que Bernard Pivot : « Alain Schifres a entrepris de nous débarrasser des clichés, des poncifs qui nous encombrent la tête. C’est bien plus que le conformisme du langage que traque ce moraliste. Ce sont nos lubies, nos snobisme, nos comportements moutonniers, nos pratiques bizarres. » ou encore Jérôme Garcin : « Schifres a des lettres. Il a aussi des humeurs. Chez lui, les premières rendent toujours détestables les secondes. »


Alors qu'attendez-vous pour lire ce brillant bréviaire ? Je ne préfère ne pas trace le monde tel qu’il va, "éparpillé façon puzzle". Un inventaire « Prévertien » coule sous ce discours d'un peu sur tout. On peut comme le suggère l'éditeur le lire dans un de ces confortables fauteuils qui habillent la couverture du livre ou bien, dans un ultime effort de conscience, dans son lit, apaisé, juste avant d’éteindre la lumière et s’en aller dans les bras de Morphée. 

vendredi 11 juin 2021

L'homme qui aimait les îles de D.H Lawrence

L'homme qui aimait les îles de D.H Lawrence, éditions de l'Arbre Vengeur, collection L'arbuste véhément. Traduit de l'anglais par Catherine Delavallade. 6,50 euros

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Tout commence dans un cadre idyllique, de ceux que nous recherchons pour nous épanouir dans la tranquillité et nous perdre dans l'horizon : une île paradisiaque :

Au début du printemps, les prunelliers couvraient les petits chemins et les petites clairières d'un manteau neigeux donc le blanc éclatait dans le calme celtique des plaques de rochers verts et gris, et les merles lançaient dans cette blancheur leurs premiers longs cris triomphants. Aux prunelliers et aux tapis de primevères succédaient les jacinthes bleues, formant des lacs féeriques et des voiles de bleu qui ondulaient entre les buissons et dans les clairières. Vous pouviez même surprendre de nombreux oiseaux dans leurs nids, sur cette île toute à vous. Quelle merveille, que ce monde fût si grand !

Un monde grand et rien qu'à soi. Un monde dans lequel l'espace-temps s'étire tellement que l'homme au milieu se perd. Cet insulaire, tardivement nommé "Cathcart" par D.H Lawrence, possède et aime les îles. On sait par la structure de ce petit roman qu'il y en aura trois. Ce qui laisse présager que les deux premières ne sont finalement pas à son goût. Pour quelle raison? Tout le mystère et la subtilité de ce texte font de ce personnage un être inquiet et inquiétant. Si nous avions une île, voudrions-nous nous entourer de proches, d'inconnus? Cherchons nous la tranquillité permanente ou avons-nous besoin des autres? La nature si apaisante de prime abord devient pour l'insulaire puissante voire violente. Nous retrouvons par cet aspect l'auteur de L'amant de Lady Chatterley, véritable chef d'oeuvre, dans lequel la nature exacerbe les sentiments de deux amants.

En quelques pages, l'auteur anglais dresse le portrait d'un homme prisonnier de lui-même, de plus en plus vide et insensible. Sa quête permanente d'isolement se heurte aux frontières de toute présence humaine et naturelle, questionnant ainsi à merveille la société contemporaine. Une fable à lire et relire pour découvrir à chaque fois un aspect qui nous a échappé.


vendredi 4 juin 2021

Miracle à la combe aux Aspics d’Ante TOMIC

Miracle à la combe aux Aspics d’Ante TOMIC aux éditions Noir sur Blanc, 18 Euros.

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- C’était bon. Un risotto aux courgettes en entrée, du civet de chevreuil avec des gnocchis, puis deux parts de gâteau au chocolat en dessert, dit-il le lundi suivant après le dîner, se tapant le ventre. Et vous, qu’est-ce que vous avez mangé ?

- De la polenta à la noix de coco, répondit Domagoj mélancolique.

- Oh, c’est bon, ça aussi déclara son frère aîné.

                                 

                                  *


Le lendemain, il sortit de la maison, un cure-dent à la bouche.

- Une soupe aux cèpes, puis un steak au poivre vert. J’ai tellement mangé que je n’ai pris qu’une seule île flottante.

Et vous, qu’est-ce que vous avez eu de bon ?

- De la polenta au Ketchup, se plaignit Branimir, rembruni.

- Ah, si j’avais su, je serai venu dîner chez vous, soupira Kreso.


                                 *


- Aujourd’hui, Lovorka n’avait pas la tête à la cuisine, expliqua t-il mercredi, relevant la ceinture. Aubergines farcies, côtelettes d’agneau, pommes de terre sautées et tartes aux cerises. Qu’est-ce que vous avez mangé ?

- De la polenta au caramel.

- Bon sang, Jozo vous nourrit bien, connut Kresimir.


                                 *


- J’ignorais que la langue de boeuf aux câpres était si bonne, avoua-t-il jeudi, en sourdine. Et vous, qu’est-ce vous avez eu à dîner ?

- De la polenta aux cacahuètes.

- Bon Dieu ! S’extasia Kreso.


                                 *


- Vendredi, c’est maigre, on a dîné plus léger, dit-il tristement. Soupe aux crevettes, bar en croûte de sel, bette à l’huile d’olive et pudding. Vous avez mangé quelque chose de plus consistant ?

- De la polenta, chuchota Zvonimr, affamé.

- A quoi ? Demanda Kreso.

- A rien ! Répondit Domagoj, éclatant en sanglots.


                                 *


Chez les Aspic - on l’aura compris - il y a scission. 
D’un côté celui qui, héroïquement, est parvenu à retrouver la femme de sa vie au bout de quinze années de séparation. 
De l’autre, les irréductibles de la combe qui séquestrent deux employés de la compagnie électrique. Ceux-là comme les autres (les Aspic fils) subissent la loi du père qui, armé jusqu’aux dents, s'attaque à quiconque pénétrerait le territoire sacré des Aspic. 
C'est donc une femme qui parvient à ouvrir une faille dans ce monde absurdement protégé de l'improbable lieu qu’est cette combe des aspic où nul ne se risque. Or, les Aspic ont envisagé d’y construire leur maison. Mais dans ce roman qui emprunte à la fable sous couvert d'un roman policier, tout est possible. Ante Tomic est un moraliste qui a l'art suprême et jubilatoire de faire rire son lecteur. 

vendredi 28 mai 2021

Aux éternels perdants d' Andrew Szepessy

Aux éternels perdants d' Andrew Szepessy, éditions Rivages, 21.50 euros. Traduit de l'anglais par Bernard Cohen

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Incarcéré vers 1965 à Budapest, Andrew Szepessy nous livre réflexions, anecdotes, instantanés sur la vie de sa cellule. On y découvre pour la plupart des hommes arrivés là par hasard, dont les histoires sont par essence différentes mais dont la vie s'arrête soudainement de la même façon : réunis dans cette cellule, à l'instant présent, ils se lient d'une amitié sous-entendue, bien entendue. Car on entend leurs voix, à tous ces hommes, et dès les premières pages :

Nous sommes restés ainsi plus longtemps que nous n'avions le désir de le supputer, avec pour seule compagnie de rares échos venus du monde extérieur. Le temps nous broyait toujours plus inexorablement dans son poing de granit, chaque instant s'écoulant encore plus lentement que le précédent. Nos pensées se sont immobilisées comme notre corps [...] Le poil hérissé et les mains moites, j'ai levé les yeux du bois rayé de la table pour regarder à la ronde dans la cellule. Avec une spontanéité sidérante, ses traits burinés adoucis par l'émotion, le nouveau venu s'était mis à chanter de tout son cœur. Chacun savait pourquoi, non par plaisir, ni pour lui, ni pour nous, mais parce qu'un trop-plein s'était accumulé en lui et devait en sortir. Parce que le chant était son seul recours pour survivre à cette nuit.

On ne saura jamais véritablement la raison pour laquelle Andrew Szepessy a été mis en prison. Sa double nationalité hongro-britannique y est certainement pour quelque chose, nous apprenons en effet dans la postface que le KGB aurait tenté pendant sa détention de faire de lui un espion. 

De cette expérience de vie naîtra cette oeuvre originale au narrateur touchant et attachant. La plume de l'auteur hongrois relie des hommes au passé sulfureux ou sage, qui par leur origine et leurs opinions se retrouvent ensemble dans cette cellule. Réflexions philosophiques, trafics en tout genre, amitiés fortes, conseils avisés, les hommes s'entraident et s'associent spontanément. C'est cet aspect qu'Andrew Szpessy retient de ces années, en y ajoutant l'humour, moteur luttant contre le quotidien et la morosité. Si la trame de ce roman se déroule majoritairement entre quatre murs, le lecteur ne se sent jamais "confiné". Au contraire, ces anecdotes contées en disent beaucoup sur la Hongrie des années 60, et sur ce qui se passe de l'autre côté du rideau de fer.

Aux éternels perdants résonne aujourd'hui par une force qui nous invite à rester résolument légers et optimistes.


vendredi 21 mai 2021

Où vont les vents sauvages de Nick HUNT

Où vont les vents sauvages de Nick HUNT aux éditions Hoëbecke, 20 Euros.

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Il est des régions du monde où le vent est une personne avec laquelle la population doit cohabiter. Ce sont des vents sauvages, terribles par moment, contre lesquels on ne peut rien faire. Nick Hunt se remémore quelque part dans les pages de son livre sa fascination pour les orages et les tempêtes, un souvenir d’enfant qui a fini par faire de lui un voyageur un peu spécial à la recherche des vents fameux, réputés pour surgir à l’improviste puis disparaître pour un temps indéterminé.


Avec un budget qui ne lui permettait que de parcourir une partie de l’Europe, il s’est risqué sur les pentes anglaises où souffle l’impétueux Helm puis s’est perdu sur la côte dalmate à la recherche de la Bora, a glissé dans les Alpes suisses pour rencontrer le Foehn et fini dans la foulée par descendre la vallée du Rhône poussé par le Mistral.


Quelle formidable leçon de géographie nous administre ce jeune auteur, observateur hors-pair des lieux qu’il traverse en marchant. Il n’est pas seul à s’intéresser de si près aux vents, outre les habitants avec qui il échange les points de vue sur ce qui est souvent perçu comme une calamité, il y a également les scientifiques qui analysent ces phénomènes que rien n’arrête, force indomptable que l’on a souvent attribuée aux dieux. 


Nick Hunt a aussi une connaissance savante des mythes et n’ignore rien des croyances populaires. 

Rédigé comme un journal de bord, Où vont les vents sauvages a la faculté d’entrer peu à peu dans les pensées intimes de celui qui mène une expérience solitaire mais ouverte sur son prochain. C’est le propre du voyageur qui passe d’une nuit chez l’habitant à une autre à la belle étoile quand il lui est impossible de monter sa tente. 


Les voyageurs ont presque toujours écrit, Nick Hunt rejoint une cohorte d’écrivains ayant éprouvé la nature, son contact radical. Les vents lui ont offert ce prétexte et un parcours original terminé dans la steppe de la Crau, grande plaine méconnue de France.

vendredi 14 mai 2021

L’eau rouge de Jurica PAVICIC

L’eau rouge de Jurica PAVICIC aux éditions Agullo, 22 Euros.

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Croatie, 1989, dans un petit village de pêcheurs, Silva n’est toujours pas revenue de la soirée de la veille. Ses parents ne s’inquiètent pas outre mesure, ni son frère. Ils connaissent le côté fantasque, imprévisible de cette jeune fille de 17 ans indépendante. Il faudra quelques heures encore avant que l’attente ne tourne à l’interrogation après que le déjeuner du dimanche eut été enfin entamé en l’absence de Silva.


C’est par cette absence au début ordinaire puis préoccupante et enfin incompréhensible que Jurica Pavicic installe ses personnages. L’intimité de chacun se dévoile, s’y ajoutent celles du fiancé de Silva et du garçon avec qui elle a dansé une partie de la nuit, sur qui les soupçons vont fatalement s’abattre à l’heure où la police sera enfin prévenue de la disparition de l’adolescente. 


La pelote romanesque ne cesse dès lors de se dévider, L’eau rouge prend une ampleur inattendue car le temps s’étire dans la vie de tous ceux qui ont le désir de revoir Silva, de savoir où elle est, de comprendre ce qui a bien pu se passer. Le temps passe donc, jours, semaines, mois et puis les années. Les changements historiques opèrent et le cadre s’élargit. Le petit port croate voit s’éloigner certains pour qui l’espoir du retour de Silva s' amenuise, d’autres s’arc-boutent mais sont aussi emportés par le flot de la vie. Jurica Pavicic trouve en eux une destinée qui colle à l’évolution de leur pays. La Croatie de 1989 n’est plus, son indépendance après la guerre lui vaut de nouveaux tourments venus de l’Ouest, du capitalisme entré pernicieusement dans ses terres jusqu’au petit port devenu la proie d’un projet touristique à grande échelle. Mais toujours demeure la question de la disparition de Silva. 


Trente ans plus tard, la vérité surgit et les personnages affectés par cette histoire sont à peu près tous encore là. C’est à eux que nous sommes attachés et à eux que nous nous identifions comme à des amis que nous avons vu vieillir.

vendredi 7 mai 2021

Cabale à la cour de Jean-Michel DELACOMPTEE


Cabale à la cour de Jean-Michel DELACOMPTEE aux éditions Robert Laffont, 17 Euros.

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L'affaire est grave, du moins est-ce l'avis de l'encore jeune duc de Saint-Simon qui s'alarme de la condition future de son ami Philippe, duc d'Orléans, neveu du roi Louis XIV, or il ne semble plus du tout être en cour chez ce dernier. 

Théâtralement mis en texte, le jour où tout va basculer est narré selon le point de vue de Saint-Simon qui manœuvre pour contraindre Philippe à cesser sa vie non conforme aux yeux du roi. Ce sont des échanges à la fois fermes et courtois assurés dans la langue (reproduite avec adresse par l'auteur) du grand siècle. Ignorant l'issue de l'histoire le lecteur est maintenu dans un suspense et une émotion toute palpable car le tragique pointe à chaque instant.

Doit-on vivre selon ses sentiments propres ou bien se ranger derrière l'avis des gardiens des bonnes mœurs ? D'imperceptibles échos surgissent de notre monde contemporain car rien n'a vraiment changé dans nos hautes sphères courtisanes. Les rumeurs assassines sont pléthores comme elles purent l'être sous Louis XIV dont Jean-Michel Delacomptée tire en clair-obscur un inquiétant portrait.


vendredi 30 avril 2021

Ne me cherche pas demain d' Adrian McKinty

Ne me cherche pas demain d' Adrian McKinty, éditons Actes Sud, 22.50euros. Traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Laure Manceau)

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Sur le papier, il est évident qu'une amitié entre un membre de l'IRA (Armée Républicaine Irlandaise) et un inspecteur de police pour la couronne britannique, n'est plus possible. Un fossé creusé par l'histoire de leur pays les sépare tous deux, bien qu'ils aient, dans leur jeunesse, arpenté les bars de Dublin et Belfast bras dessus bras dessous.

Le flic en question, Sean Duffy, n'est plus flic. Il fait partie de ceux qui l'ouvrent, bousculent la hiérarchie, consomment des substances illicites, jouent des coudes à la sortie des pubs. Cela lui a coûté d' être rétrogradé, puis limogé de son poste d'inspecteur principal. 

L'autre homme, c'est Dermot McCann, tout juste évadé de la prison de Maze, un des membres les plus dangereux de l'IRA, préparant très certainement une série d'attentats avec l'aide du gouvernement lybien. Nous sommes en 1983.

Lorsque les services secrets cherchent désespérément à retrouver sa trace, ils n'hésitent pas à solliciter de nouveau Sean Duffy, l'homme aux méthodes douteuses. Sean doit alors replonger dans son passé, interroger tous les membres de la famille de Dermot, ceux et celles qu'il a bien connus autrefois... 

C'est le moment ou le lecteur de Ne me cherche pas demain ne mangera plus, ne dormira plus. Une autre enquête s'ouvre, une affaire de meurtre dans un pub. Une énigme de la chambre close, à la Gaston Leroux, dans laquelle on ne sait absolument pas comment le meurtrier a pu tuer sa victime et s'échapper du pub, fermé à gros verrous de l'intérieur. 

Brillantissime, le moment ou ces deux enquêtes se rejoignent. Une tentative d'assassinat contre Margaret Thatcher demeure en toile de fond, pour faire de ce roman une excellente immersion dans le conflit nord-irlandais.


 


vendredi 23 avril 2021

Mousse de Klaus Modick

Mousse de Klaus Modick aux éditions Rue de l'échiquier, 16 euros.

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Parmi toutes les études menées par le botaniste allemand Lukas Ohlburg, la mousse demeure un souvenir d'enfance, un moment partagé avec son père dans leur maison de campagne où ce dernier demandait à son fils d'écarter cette mousse qui s'incrustait entre les dalles du jardin. La mousse est un élément vivant tout à fait remarquable dont le livre nous fait comprendre l'adaptabilité. Mais il ne s'agit pas d'un livre scientifique bien que Lukas Ohlburg fût une sommité dans son domaine jusqu'à sa mort survenue en 1981.

Mousse est introduit par une note de Klaus Modick (le livre est paru en Allemagne en 1983) sur la réception du manuscrit que lui a remis le frère de Lukas Ohlburg. Le récit épars des souvenirs du botaniste est donc reconstitué par Klaus Modick en une sorte de rêverie du promeneur solitaire dans une région de l'Allemagne du Nord (non loin de Brême).

Le grand sens de l'observation de Lukas Ohlburg est probant, l'homme est à la fin de sa vie mais sa perception de la nature est toujours pourvue d'une acuité que renforce sa connaissance d'un environnement dont il peut nommer chaque élément qui le constitue. 

Il existe une petite famille de mousse formant un gazon qui ne possède qu'un seul genre, Splachnum, essentiellement limitée aux zones arctiques. Mais depuis quelques jours elle ondoie autour de la maison, ce qui est étonnant, étant donné que la chaleur et la luminosité augmentent constamment. Le petit chapeau jaune ou rouge ressemble étrangement à un signal. Voici ce qu'il en est. Avec son scintillement et l'odeur indolique qu'elle dégage, ce qui exerce sur moi  un effet à la fois stimulant et anesthésiant, cette famille de mousse commence à s'installer dans ma barbe, attire des insectes qui assurent la dissémination de ses spores. C'est tout à fait exceptionnel pour des mousses. Même dans le choix de son substrat, de son lieu d'installation, cette famille fait preuve d'une particularité sage. Elle pousse exclusivement sur des matières organiques en voie de pourrissement. De toutes les mousses celles-ci est peut-être la seule à pouvoir un jour quitter son impasse évolutive pour aller vers le royaume coloré  des plantes plus grandes.

Cette présomption que je lui accorde négligemment tandis que les températures augmentent, n'a en fin de compte aucun sens. Mais la lueur, l'essaimage, l'odeur de bleu profond, tout ce la est un véhicule dans lequel je peux poursuivre mon voyage.
 

vendredi 16 avril 2021

The white darkness de David Gran

 The white darkness de David Gran aux éditions du Sous-sol, 

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Commençons par nommer les protagonistes du livre de David Gran, Ernest Schakleton et Henry Worsley, ils sont chacun reconnus comme des explorateurs essentiels à la connaissance du continent Antarctique. 

Les nombreuses photos qui illustrent leurs aventures ont été prises à un siècle de distance. 


Si L’odyssée de l’Endurance demeure un livre phare, le récit extrême non pas d’un échec mais d’une survie dans le froid polaire, David Gran, dans la première partie de The white darkness en restitue ses valeurs premières soit la promesse d’un capitaine en qui tout un équipage maintint sa confiance jusqu’à son retour avec des sauveteurs et la satisfaction de ce capitaine de n’avoir subi aucune perte dans un hivernage forcé dès lors que le bateau "L’endurance" fut immobilisé par les glaces.


Henry Worsley fut un des lecteurs admiratifs de L’odyssée de l’Endurance, il en retint les leçons tout au long de sa carrière militaire avant d’entreprendre à son tour sa propre odyssée  accompagné de deux acolytes dont le petit-fils d’un des hommes de Schakelton et accomplir sa première expédition « anniversaire » au pôle sud. 

Une deuxième menée cette fois en solitaire poussera Henry Worsley dans les limites possibles qu’un homme puisse endurer seul sur ce monstrueux continent.


Le propos de David Gran n’est justement pas de démontrer une quelconque folie de cette tentative. Bien au contraire, il démontre que celle-ci était sans doute la plus contrôlée qui soit. Henry Worsley n’était pas un aventurier inconscient des risques entrepris. Il savait que personne avant lui n’avait réussi à traverser l’Antarctique en solitaire et ce désir d’y parvenir était inconciliable de son attirance pour les paysages de neige et de glace qui composent cette contrée farouchement hostile à l’homme. 


David Gran rend hommage à l’explorateur et  à sa famille qui lui a permis d’aller au bout de son désir, de son besoin de ressentir et de rêver son voyage. 

En s’appuyant sur les notes ramenées par Henri Worsley, David Gran livre un récit palpitant qui témoigne avec éloquence de quel exploit il retourne lorsque l'on affronte The white darkness

vendredi 9 avril 2021

De sable et de neige de Chantal Thomas

De sable et de neige de Chantal Thomas aux éditions du Mercure de France collection Traits et portraits, 19 euros.

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Simultanément ou presque deux auteurs aux parcours plus proches qu’on ne le suppose se sont attardés via la collection Traits et portraits sur leur enfance respective et, géographiquement, distante de quelques kilomètres. Une distance agréable qui relie Bordeaux à Arcachon.

 

Chantal Thomas et Philippe Sollers se sont effectivement adonnés à l'exercice proposé par la collection et c’est vers Chantal Thomas que nous nous sommes tournés instinctivement mus par notre curiosité naturelle pour toute parution associée à Arcachon. 

 

Chantal Thomas, nous le savons bien, a passé son enfance sur les rivages arcachonnais déjà contés dans son livre bien nommé Souvenirs de la marée basse où l’écrivaine suivait les pas ou plutôt les brassées de sa mère, infatigable nageuse qui délaissait sa famille pour des bains quotidiens aux abords des chantiers navals encore actifs dans les années cinquante à Arcachon. 

 

Cette fois, le rôle du père apparaît, le résistant lyonnais subissant la volonté de sa femme de vivre au bord de l’eau. Il y avait chez lui une solitude qui l’entraînait sur son rafiot qu'il pilotait jusqu’aux passes où le poisson s’avérait présent. La jeune Chantal l’accompagnait dans le silence du clapotis, des heures durant, canne à pêche lancée dans le bassin pour le plaisir d’être avec son père qui préférait pour sa part la montagne avant la mer. 

 

C’est pourquoi l’hiver 56 où la neige tomba dru, à Arcachon comme ailleurs, reste le moment absolu du livre de Chantal Thomas, celui qui révèle son père et elle-même à la pratique du sport d’hiver. 

Les photos qui se sont glissées dans le livre sont frappantes par la netteté de tout ce qui fait la lumière atlantique et plus précisément celle du bassin d’Arcachon. 

 

La dérive mémorielle de Chantal Thomas entraîne cette dernière jusqu’au Japon dont elle admire la poésie et la peinture.

De sable et de neige montre à quel point l’image transmet à l’écrit une puissance invocatoire qui, sans elle, aurait été rendue tout autre.


vendredi 2 avril 2021

La famille Martin

 

La famille Martin de David Foenkinos, éditions Gallimard, 19.50 euros:

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Entre fiction et réalité, la barrière est souvent fine en littérature et David Foenkinos en joue ici ouvertement, naturellement et sans artifice.

C'est l'histoire d'un auteur qui, bien qu'ayant obtenu le prix Renaudot pour un précédent roman et ayant donc déjà noué avec une certaine reconnaissance, se heurte définitivement à la page blanche. Aucune once d'inspiration ne lui vient. Alors pourquoi ne pas raconter l'histoire d'une vie et ne pas faire un roman vrai ? Car après tout, tout le monde le sait, la vraie vie est parfois aussi riche, si ce n'est plus, que celle de personnages inventés.

C'est donc décidé, notre auteur s'en tiendra à cela: il écrira le roman de la première personne croisée en bas de son immeuble. Naît ainsi l'histoire de Madeleine Tricot (cela ne s'invente pas), vieille dame à la vie heureusement bien remplie pour celui en panne d'imagination. Et avec elle l'histoire de René, le mari, de Stéphanie, de Valérie, les filles, et surtout de toute une famille pour qui ce projet de roman devient une formidable et touchante bouée de sauvetage. Madeleine présente en effet un début d'Alzheimer et ses souvenirs s'étiolent peu à peu. Commence ainsi un voyage où les personnages vont vivre leur vie de héros de chair et de papier et où les rencontres peuvent être bouleversantes ou tout simplement faire davantage apprécier les instants vécus.

vendredi 26 mars 2021

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre aux éditions Rivages, 20,90 Euros.

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Autant commencer par avertir celles et ceux qui ne connaissent pas la définition d’un roman noir. Traverser la nuit leur en donnera un exemple frappant. 

 

A ce titre Hervé Le Corre ne fait jamais les choses à moitié, la cruauté qu’il emploie semble venir d’un réel tout proche qui - certes et fort heureusement - ne concerne pas la majorité d’entre nous mais ce réel-là se tient tout près. Il fait partie de ce que nous ne voulons pas de prime abord regarder, il se tient dans ce que l’on a un peu facilement défini comme étant la marge. Celle que l’on évite à toute force lorsqu’elle se présente à nous. 

 

Hervé Le Corre lui s’y arrime et cette fois par le biais d’un commandant de police nommé Jourdan. Cet homme - sinon qu’il est un flic - n’est, pas plus qu’un autre, délesté de la misère sociale qui l’entoure. Il en est même au stade de ne pouvoir la supporter. Sa limite de l’acceptable semble être atteinte mais voilà son boulot de flic ne lui laisse aucun répit. 


Les affaires sordides, comme Bordeaux peut en fournir, sont légions. Bordeaux ou ailleurs, mais la capitale girondine suffit amplement à Hervé Le Corre qui en connait les recoins les plus sombres et les plus inquiétants. Il peut aussi bien nous embarquer en bord de rocade dans une station service la nuit où les routiers se soulagent auprès de quelques dames ou nous entraîner dans la campagne délavée du médoc en bord d’estuaire et côtoyer les frasques incestueuses d’une famille en décomposition. Ou encore, et plus spectaculairement, braquer une torche assassine sur une maison andernosienne prise en otage par un fou désespéré et enfin, pour finir, nous projeter sur le parking d’une zone commerciale à ses heures de fermeture pour un tabasse en règle entre voyous. 


Bref, si le décor de Traverser la nuit nous est proche voire vulgaire, cette proximité enclenche un fort sentiment d’effroi lorsqu' avec Jourdan et son équipe nous constatons tout le mal qu’il y a été fait. 


Si Jourdan est un témoin des carnages que son statut professionnel autorise, sa vie privée en subit aussi des dégâts collatéraux. Enfermé dans une solitude volontaire, il voit s’éloigner femme et enfant lassées de cette incommunicabilité censée les protéger.

A l’autre bout de cet échiquier cruel se trouve Louise que Jourdan finira par rencontrer. Cette jeune femme qui a déjà connu le pire subit les attaques répétées de son ancien amant, un être ravagé par l’alcool et la drogue, miné tantôt par le remords, tantôt par une jalousie démentielle qui frappe aveuglément. 


Ici Hervé Le Corre nous attire au plus profond de la détresse ordinaire : la violence conjugale. Pénétrer l’intimité de ceux qui reçoivent les coups, qui saignent, qui pleurent et qui tentent de sauver leur bien le plus cher, en l’occurrence Louis, son jeune fils de huit ans. 


Traverser la nuit mêle ces deux misérables destins à une série de meurtres sauvagement perpétrés dans la nuit bordelaise. Un homme qui le jour ploie sous le poids d’un travail ordinaire, tue la nuit venue, selon ses pulsions, des femmes choisies en fonction de leur vulnérabilité. C’est ici que la noirceur du roman se dégage le plus. Jourdan et son équipe progresse avec le plus grand mal dans leur enquête. L’homme qu’ils recherchent est insaisissable, ses actes sont incontrôlables et son secret se terre forcément dans son origine sociale et familiale. 


Tout l’art d’Hervé Le Corre se situe dans cette exploitation de la misère humaine, son décryptage profond des racines du mal. C’est éprouvant à lire mais l’auteur distribue les rôles avec un sens exact de la mesure. Les coups font mal mais détiennent chacun leur vérité. 

vendredi 19 mars 2021

Défriche, coupe, brûle de Claudia Hernandez

 

Défriche, coupe, brûle de Claudia Hernandez, éditions Metailié, 21.50 euros

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Nous sommes au Salvador dans les années 90, à la fin d'une guerre civile qui a duré de 1979 à 1992. Une femme, ex-combattante du côté des forces révolutionnaires, tente de retrouver sa fille qu'elle a perdue lorsqu'elle était encore jeune enfant. Elle entreprend alors un voyage à Paris pour la rencontrer et lui faire renouer avec ses "racines salvadoriennes". A cette occasion nous revenons sur le passé de cette femme, son combat dans les collines aux côtés de son père, le regard des autres hommes sur elle, ses blessures quotidiennes. On apprend qu'elle a eu d'autres filles au Salvador, qui tentent, comme elle, de s'émanciper par le biais de l'école et des études supérieures. Les enfants suivent cette figure maternelle de combattante, mais tentent aussi de s'en défaire. Le poids familial est lourd, et le désir d'exil est plus fort. 

"Dans le contexte de la guerre, le futur n'existait pas, être accompagné ne signifiait pas grand chose et être enceinte était une façon de survivre, de se perpétuer, même si certains considèrent que tout cela était précipité et caractéristique des espèces faibles" (extrait du journal Libération des 13 et 14 mars 2021, article rédigé par Philippe Lançon).

Si les personnages féminins ne sont jamais nommés dans Défriche coupe brûle, c'est pour mieux les fondre dans cette mouvance de libération de l'après-guerre. La majorité des femmes ont pu montrer toute leur combativité et connaissance pendant et après la guerre, et participer ensuite davantage aux changements politiques et sociaux de leur pays. L'écriture de Claudia Hernandez, au plus près des événements et des actes, révèle avec originalité une période méconnue de l'histoire de l'Amérique du Sud.



vendredi 12 mars 2021

Adultère d'Yves RAVEY

Adultère d'Yves RAVEY aux éditions de Minuit, 14,50 Euros.

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 « Et Remedios a changé sa version des faits. Elle l’a écrite sous mes yeux, et, sous mes yeux, sa main courait sur le papier. »

Ainsi fini Adultère dernier opus de l’œuvre en cours d’Yves Ravey. 
Si Remedios est encore à ce moment-là bien la femme de Jean Seghers et que ce soit bien lui que l’on entende une dernière fois raconter l’ultime acte des évènements qui se sont produits, un doute cependant intervient à lecture de : 
 
« sous mes yeux, sa main courait sur le papier ». 
 
Serait-ce la voix de l’auteur lui-même ? Yves Ravey, surpris dans son geste créateur ? Dans sa vision hallucinée des faits ? 
Ce serait alors une fin qui nouerait Jean Seghers à Yves Ravey dans une indétermination d’identité. 
A quel point suis-je devenu Seghers ? Comment m’en défaire sinon en créant une chose impossible ? Nous dirait Yves Ravey.

« Et Remedios (ma femme) a changé sa version des faits ». 
 
Yves Ravey va loin dans la noirceur de son personnage dénommé Jean Seghers, garagiste de son état. Garagiste certes mais en situation de faillite et qui, à défaut de se mentir à lui-même, ment à tout va après avoir commis l’irréparable. 
Mais le mobile serait trop simple s’il consistait à sauver seulement les apparences d’une situation professionnelle délicate. 
Ajoutons une conviction d’adultère à cela et voici Jean Seghers, homme plutôt respecté par ses proches, sous l’emprise d’un sentiment revanchard et punitif. 
 
Yves Ravey s’immisce donc au plus profond des pensées d’un être accablé et accablant. 
Ce travail d’écriture puissant est présent dans tous les livres de Ravey - il y en a dix-neuf  - et les turbulences qui en découlent nous affectent à chaque fois. Empathie assène-t-on aujourd'hui ! En ce qui concerne Yves Ravey c’est le moins que l’on puisse dire.

vendredi 5 mars 2021

Le démon de la colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie

 

Le démon de la colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie, éditions Le tripode, 17 euros

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On ne parle pas du Démon de la colline aux loups. On l'expérimente. Sans virgule, le roman de Dimitri Rouchon-Borie fait l'impression d'avoir été écrit d'un seul jet. A l'image de la vie de son personnage, brute et sans recul. Une vie qui depuis la naissance jusqu'à la mort fait l'objet d'une violence inouïe.

Le narrateur, en prison lorsque le roman débute, nous livre le fil de son enfance tout d'abord. Quelques années qui déterminent la tournure de sa vie entière, à savoir un tunnel dont la lumière ne vient jamais. Très peu réjouissant me direz-vous. Il y a pourtant une lumière, celle de la puissance de cette plume qui nous apprend qu'il ne faut pas lâcher, même dans une vie où tout paraît perdu. A tous les amateurs de roman avec un souffle remarquable, celui de Dimitri Rouchon-Borie est là pour nous rassurer sur notre place de lecteur, témoin de l'irréparable, mais passionné par un rythme, une voix qui malgré ce qu'elle raconte nous transporte intégralement. 

vendredi 26 février 2021

La vengeance m'appartient de Marie NDiaye

La vengeance m' appartient de Marie NDiaye, éditions Gallimard, 19.50euros

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"Pourquoi êtes-vous venu me voir, moi qui ne suis pas, sur la place de Bordeaux, une avocate renommée, et étant donné la gravité de l'affaire?"

Cette question, sur le bout des lèvres de la narratrice et du lecteur, ne sera pas tout de suite prononcée à voix haute. Lorsque Gilles Principeaux pousse la porte du cabinet de Maître Susane pour lui demander de défendre sa femme, Maître Susane sait qu'elle a déjà vu cet homme, il y a fort longtemps, à Caudéran.

Pourquoi celui-ci, au premier regard, lui inspire à la fois le souvenir d' une joie intense et un dégoût? Voilà une nouvelle question, soulevée dans une ambiance bordelaise hypnotique.

Les choses auraient été plus simples si seule la vie professionnelle de Me Susane avait été bouleversée. Comme dans tous les romans de Marie NDiaye, un événement chamboule tous les domaines d'une vie et touche à la part la plus intime de ses personnages. Me Susane est une femme engagée, son premier souci étant d'embaucher une femme de ménage mauricienne, sans-papiers, et de s'évertuer par son emploi à la régulariser. Sharon, la femme de ménage en question dont elle n'a nullement besoin par ailleurs, est mystérieuse elle aussi à bien des égards: distante avec Me Susane, elle multiplie les maisons dans lesquelles elle exerce, et l' une d'entre elles aurait pour propriétaire une certaine Madame Principeaux...

Il serait pourtant trop évident de faire coïncider ces deux pièces de puzzles, car Marie NDiaye dans cette œuvre ingénieuse nous invite à rester sur nos gardes. Les souvenirs de Me Susane s'estompent et se mélangent à mesure de l'intrigue, ses propres parents ne la reconnaissent plus. L'obsession du dossier Principeaux est un tel coup qu'elle ne s'en remettra peut-être pas. Elle sait qu'elle doit alors reprendre le contrôle de sa vie, son passé, son corps, et ses convictions les plus profondes. Une nouvelle fois, Marie Ndiaye invite le lecteur à éprouver cette ambiance de toutes ses forces. On aime être chahuté, questionné, perdu. On aimerait aider Me Susane mais on ressent le besoin, tout comme elle, d'aller chercher la lumière le plus loin possible. 

vendredi 19 février 2021

Ceux qui n’avaient pas trouvé leur place

Ceux qui n’avaient pas trouvé leur place d’Olivier MONY aux éditions Grasset, 15,50 Euros.

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Olivier Mony a dû se montrer patient pour voir paraître son premier roman dans une maison d’édition parisienne. Habitué à l’urgence des articles de Sud Ouest Dimanche de la rubrique littéraire,  il avait compté sur le mois d’avril 2020 pour - à son tour - épier les comptes rendus effectués sur son compte par ses confrères. 


Las, la partie fut remise à plus tard, à janvier 2021, pour enfin voir son livre sur les tables des librairies. 

En a-t-il souffert ? L’homme n’en dira rien à l'image des figures secrètes que contient Ceux qui n’avaient pas trouvé leur place. 


Ce roman donc, tardif pour des raisons multiples, ménage une place à Olivier Mony parmi les hommes de lettres. Beaucoup savaient déjà qu'il en avait la fibre et d’autres, aujourd'hui, peuvent en découvrir la musique particulière que depuis longtemps Olivier Mony a instaurée au travers de ses articles de presse. 

Bordeaux occupe bien sûr une belle place dans ce livre mais la ville est replongée dans un temps d’avant, d’avant son renouveau, d'avant son nouveau tramway, d'avant ses façades reblanchies et d'avant son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco.


La nostalgie douce de ce temps imprègne aussitôt le roman sitôt franchie l’exergue tirée de l’œuvre d’Henri Michaux À distance :

"Ici les morts débarqués d'autres planètes viennent résider, ceux qui ailleurs n'avaient pas trouvé leur place. Ils viennent silencieux, loin des exigeants, des éternels exigeants, se tapir pour remourir encore, pour remourir doucement."


Bordeaux donc, dans les années soixante couve un personnage, Serge, intrigant, fantasque, désinvolte, embrassant la vie comme nul autre. Son itinéraire, ses frasques, ses excès, sont repris par l’un de ceux qui l’a le mieux connu, ami de jeunesse devenu son avocat qui ne put empêcher malgré tout Serge de connaître la prison. 

Il n’y a pas de grand dévoilement à la vie de Serge si ce n’est la constance d’un secret non élucidé. 


Cet esprit des années soixante et soixante-dix permettait les outrances que Serge portait en lui. A commencer par son goût des voitures de sport et l’espoir déçu de ne pas avoir été un pilote professionnel. Tel fut le destin manqué de Serge. Tout le reste fut vécu avec négligence - femmes, amis et enfant - ce dernier étant resté à quai, demeurant un rendez-vous (de plus) manqué auquel Olivier Mony ne se résout pas à indiquer combien il lui fut difficile de ne pas l’avoir connu. 


vendredi 12 février 2021

L' Ami de Tiffany Tavernier

 

L'Ami de Tiffany Tavernier, éditions Sabine Wespieser, 21 euros:

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Se réveiller un matin et voir sa vie totalement basculer en quelques fractions de secondes: voilà ce qui arrive à Thierry et Elisabeth lorsque le GIGN frappe violemment à leur porte. Mais que peut-il se passer pour que les forces de l'ordre envahissent en masse cette terre totalement isolée où ils vivent seuls avec leurs voisins, Chantal et Guy, un couple d'amis ?

Ce qu'il se passe, nous allons le vivre avec Thierry et, comme Thierry, nous allons être totalement abasourdis par les événements qui se dévoilent peu à peu dans ce roman totalement hypnotique. Comment l'innommable peut se passer à quelques mètres de chez soi sans s'apercevoir de rien ? Pire, en étant le témoin de plusieurs faits qui auraient pu, qui auraient dû lui faire comprendre que quelque chose n'était pas normal. La dépression de Chantal ? Cette nuit où il fut réveillé en sursaut et où Guy lui répondit depuis la pénombre du fond de son jardin que non, ce n'était rien, seulement sa chienne qui s'était tordue la patte ? Et cette cabane au fond de la forêt où Guy et lui passaient leurs week-end à observer et capturer des coléoptères et autres insectes pour agrandir leurs collections ? Rien de plus banal en fait, surtout lorsqu'on est avec un ami, un véritable ami en qui on a confiance et avec qui il n'est finalement pas besoin de parler et de tout dire puisqu'on se comprend...

Tiffany Tavernier sonde ici l'âme humaine avec une telle dextérité que le lecteur est lui-même pris dans les mailles du filet et n'a d'autre choix que lire ce roman d'une traite !