samedi 31 mars 2012

La belle année de Cypora PETITJEAN-CERF

La belle année de Cypora PETITJEAN-CERF* aux éditions Stock, 19,50 euros.


"Sérieux, Tracey, on voit rien, dit Camelia pendant le cours d'histoire. Bouge ta tête !"
Voilà, ça parle souvent comment ça dans La belle année et c'est ça qui est bien. Disons que Cypora Petitjean-Cerf a manifestement une approche de la langue française telle qu'elle se parle dans la rue, mieux, dans les cités, mieux encore, dans le 9-3 (descendre à Basilique Saint-Denis).
Cypora Petitjean-Cerf "travaille la langue" comme on dit parfois en littérature. Pour preuve, son plus beau personnage est sans doute Takashi, japonais apprenant le français qu'il maltraite atrocement, ce qui devient jubilatoire à la lecture.

Mais revenons à Tracey, vedette absolue de La belle année, gamine impossible qui vient d'entrer en 6ème où elle survole les cours avec une succession ininterrompue de 20/20. Tracey nous récite sous la forme de "tranches de vie" et avec un humour toujours renouvelé, les préoccupations multiples et diverses qui assaillent sa pensée. C'est que Tracey, sans être une véritable surdouée est tout de même ultra intelligente (c'est elle-même qui le pense) et tous les conflits de personnes qu'elle doit traiter, sa famille, ses ami(e)s, les profs, sont une éclatante démonstration de ses capacités psychologiques.

Qu'il y ait un "auteur" derrière tout ça est une certitude. Cypora Petitjean-Cerf brille dans la répartie, la langue populaire qu'elle ne caricature jamais. Le thème central de son livre repose sur la communication. Comment exprimer son amour, ses peines, ses haines ? La mère de Tracey en est l'exemple le plus probant mais aussi Cosimo son ex-meilleur ami, ou encore son père qui vit en exil dans la cité voisine depuis le divorce d'avec sa femme. Une kyrielle de personnages gravite autour de Tracey, 365 jours durant. La belle année pourrait se résumer à la naissance de l'amour ou à sa compréhension.
Que deviendra Tracey ? C'est une bonne question.

*Cypora Petijean-Cerf est l'invitée de La Plage aux Ecrivains du 28 et 29 avril prochain.

La mort au crépuscule de William GAY par Olivier de Marc

La mort au crépuscule de William GAY, Folio policier, 6,95 euros.


Vétéran du Vietnam, William Gay a exercé plusieurs métiers tout en se consacrant à l’écriture. La mort au crépuscule couronné par plusieurs prix reste l’oeuvre de sa vie. Mort il y a quelques semaines, il n’aura plus l’occasion de nous livrer d’autres diamants noirs.

L’intrigue de ce polar est simple. Il s’agit d’une course poursuite hallucinée entre Sutter psychopathe fou furieux et Kenneth Tyler adolescent porteur de photos compromettantes d’un « notable » d’une bourgade des Etats-Unis. Reste un troisième personnage central dans le livre, la nature. Omniprésente, hostile, inquiétante, elle donne au roman une dimension fantastique. Willian Gay nous décrit une chasse à l’homme dans une atmosphère gothique.

Le mal est décrit froidement, sans jugement moral. Le style impeccable : « Il poursuivit son cheminement vers l’est, à la recherche d’une éminence qu’il pourrait escalader pour repérer une lumière. Quand il en trouva une, il y monta et tourna sur lui-même, ne parvenant pas à croire à toutes ces ténèbres aux quatre points cardinaux, mais tout était figé dans le sommeil et l’obscurité comme si dans ce monde désolé qu’il traversait il était le premier homme attendant l’arrivée des autres ou le dernier homme pleurant ceux qui avaient disparu avant lui ».

Polar crépusculaire, La mort au crépuscule est à ranger à côté des livres de Cormac McCarthy tels que La route ou No Country for Old Men. Noir c’est noir …

Olivier de Marc

samedi 24 mars 2012

236 !!!


236.... comme je vous le disais la semaine dernière, voilà un chiffre qui vient de prendre pour notre librairie une saveur particulière. Pour quelle raison?! me demanderez-vous. Et bien parce que ce chiffre représente d'une certaine façon tout notre travail de 2011, tous les échanges que nous avons pu avoir avec chacun de nos clients, tous les livres que nous avons pu conseiller, toutes les rencontres et toutes les découvertes que nous avons pu faire, tous les salons et congrès auxquels nous avons participé, tous les partenariats que nous avons pu établir et consolider...... en un mot, une année 2011 exceptionnelle, dans tous les sens du terme, qui nous amène au 236 ième rang des 400 premières librairies de France*!!!

Mais si, pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, nous sommes réellement heureux de ce résultat, il n'en reste pas moins que comme le souligne Livres Hebdo: Derrière [ce classement], c'est la vie d'une profession qui se lit: les progressions étonnantes, les rebonds victorieux, mais aussi les difficultés économiques, la concurrence, les fermetures... Beaucoup de librairies ont effectivement disparu du classement cette année ou affichent une baisse significative.

C'est pourquoi nous ne vous remercierons jamais assez d'être à nos côtés et de nous soutenir chaque jour, car, bien plus que ce chiffre, c'est votre présence et votre amour du livre qui nous font avancer.

Les librairies sont vivantes. Elles le resteront avec vous.

* Classement Livres Hebdo n° 901 du 16 mars 2012. Classement établi sur la base du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé uniquement dans la vente de livres, sur les 2 000 librairies françaises répertoriées aux greffes des tribunaux de commerce.

JOYEUSES PAQUES!!!


Et oui, le printemps est là et les cloches vont bientôt passer... T'choupi, Juliette, Babar et tous nos petits amis sont déjà fin prêts pour la chasse aux oeufs!

Alors si vous êtes facétieux comme Trotro ou gourmands comme la Fée Baguette, lancez-vous sur les traces de vos héros préférés et peut-être croiserez-vous ce coquin de Pierre Lapin au détour d'un buisson!

A vos paniers et Joyeuses Pâques à tous!!!

Le retour du Général de Benoît Duteurtre par Olivier de Marc

Le retour du Général de Benoît Duteurtre, Folio 5,95 euros

Romancier, essayiste et critique musical Benoît Duteurtre est un écrivain de facture classique attaché à la narration à l’opposé du nouveau roman. Il jette un regard critique et sarcastique sur la modernité qui nous entoure. Possédant un réel talent pour se moquer des travers de notre époque, l’auteur se place dans la lignée d’un Marcel Aymé.
L’idée du Retour du Général est simple. Il s’agit d’une uchronie. Benoît Duteurtre imagine le retour au pouvoir du général de Gaulle en 2010. Tout part d’une directive européenne interdisant la mayonnaise maison dans les bistrots. A partir de là, tout s’enclenche et le Général habité par une certaine idée de la France va tenter de la sortir de la mondialisation dans laquelle elle se perd.
L’ouvrage de Benoît Duteurtre est d’abord une farce très drôle et très bien écrite. On ne s’ennuie pas une seconde. Derrière la fantaisie, comme toujours avec cet auteur, se cache une réflexion sur la modernité, très fine et perspicace. A ce titre, il faut absolument lire La petite fille et la cigarette publié également chez folio, désopilante fable sur les absurdités de nos sociétés hygiénistes régies par le principe de précaution.
Parfois accusé de réactionnaire, mot fourre-tout pour disqualifier tous ceux qui osent ne pas applaudir devant toutes les « avancées »de notre époque formidable, Benoît Duteurtre répond subtilement dans Le retour du Général : « Je ne suis pas exactement un passéiste inconsolable ; mais, devant chaque nouveauté, je ne puis m’empêcher de mesurer aussi ce que nous perdons. La modernité m’enchante ; la fuite en avant me désole ».

Olivier de Marc

Le Condottiere de Georges PEREC

Le Condottiere de Georges PEREC aux éditions du Seuil, 17 euros.


Remontons le temps, plutôt deux fois qu'une. Nous sommes en 1960, le comité de lecture des éditions Gallimard refuse le manuscrit d'un auteur débutant nommé Georges Perec. La réponse du directeur littéraire de l'époque Georges Lambrichs fuse :  On a trouvé le sujet intéressant et intelligemment traité, mais il semble que trop de maladresses et de bavardages aient braqué plusieurs lecteurs. Et même quelques jeux de mots , par exemple : Un bon Titien vaut mieux que deux Ribera".
Raymond Queneau ne semble point avoir pu peser pour la parution de l'ouvrage et l'Oulipo est un nouveau né ! Ce roman donc qui devait être le premier de Georges Perec n'est jamais paru. Il aurait pu s'appeler Gaspard ou Gaspard pas mort puis le Condottiere.

Pour la forme, récapitulons ce qui advint par la suite. Georges Perec se remit bien évidemment à écrire et dès 1965 il obtint avec Les choses le prix Renaudot qui est officiellement son premier roman. Suivirent le sublime Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966) puis, entre autres, Un homme qui dort (1967), La disparition (1969), Espèce d'espace (1974), W ou le souvenir d'enfance (1975), Je me souviens (1978) et, pour faire court, La vie mode d'emploi (1978) Prix médicis. Quatre ans après, pour faire plus court encore, Perec meurt. L'oeuvre est là. Manquait à l'appel ce Condottiere jamais publié et qui, pour fêter le quarantième anniversaire de la mort de l'auteur, apparaît enfin.

Le Condottiere, c'est, comme l'ont dit les chroniques des journaux et surtout Claude Burgelin qui s'est attelé à la préface du roman, un retour sur le devenir d'un des plus importants écrivains de la deuxième partie du XXème siècle. De la maladresse et du bavardage des lecteurs de 1960, nous retiendrons une volonté non exhaustive mais sélective de la nomination. Perec nommait les choses, il  en cherchait le mode d'emploi, le souvenir avant leur disparition. A ce sujet, jamais Perec ne désarma.

Le Condottiere nous envoie à son tour dans le passé: le protagoniste, un certain Gaspard, est faussaire de génie et le moindre maître en peinture n'a de secret pour lui. Ainsi Gaspard égrène  le Benezit, fameux dictionnaire des peintres, et rend depuis douze ans des copies parfaites d'un Van Gogh par-ci, d'un Manet par-là, d'un Van Eyck, d'un Vinci etc... Il a le génie de trouver la manière et l'esprit dans lesquels ont travaillé ces maîtres, toutes époques confondues. Il vit isolé du monde par la grâce d'un protecteur nommé Ribera (Un Titien vaut mieux...) qui lui passe commande des faux-chefs d'oeuvre qu'il éxécute sans frémir jusqu'au jour où une crise existentielle s'abat sur lui et notre Gaspard bute sur Le Condottiere d'Antonello de Messine. Pourquoi ce tableau-là et quelles en seront les conséquences ?

Georges Perec atteint alors les limites de la condition d'artiste voire de la création. Le tourment de Gaspard est un exercice de style qui provoque un vide abyssal que Gaspard croit pouvoir effacer par le crime. C'est cette minutieuse reconstitution psychologique d'un meurtrier qui est travaillée de bout en bout dans ce livre, un affrontement intérieur sous le couvert de la confession.

Claude Burgelin rappelle que Perec voulait qu'on lise Le Condottiere comme l'histoire d'une prise de conscience, de la fin de la névrose solitaire, des conduites magiques et des courts-circuits par le faux, un éloge de la patience et du travail,  de la recherche de sa propre vérité, de la perpétuelle reconquête et d'une forme secrète de courage. Plus de cinquante ans plus tard, voilà qui est chose faite.

samedi 17 mars 2012

La Plage aux Ecrivains 28 et 29 Avril 2012

1 mairie, 3 libraires, 33 auteurs.... et voici la nouvelle édition de La Plage aux Ecrivains lancée!

Rendez-vous est donc pris sur le sable les 28 et 29 Avril prochains où vous pourrez rencontrer (sous réserve de modification):

Jérôme Attal (L'histoire de France racontée aux extra-terrestres, ed. Stéphane Million), Jean-Paul Auriac (C'était le chemin des bois, ed. Couleur Périgord), Tristane Banon (Le bal des hypocrites, ed. Au diable vauvert), Jean-Luc Barré (François Mauriac, biographie intime, ed. Fayard), Pierre Bellemare (Enquêtes sur 25 trésors fabuleux, ed. Flammarion), Denise Bombardier (L'anglais, ed. Robert Laffont), Sophie Chauveau (Fragonard, l'invention du bonheur, ed. Télémaque), Malek Chebel (Dictionnaire amoureux de l'Algérie, ed. Plon), Harold Cobert (Dieu surfe au Pays Basque, ed. Héloïse d'Ormesson), Patricia Darré ( Un souffle vers l'éternité, ed. Michel Lafon) , Yvonne Daudet (La question de Lola, ed. Elzevir), Jean-Louis Debré (Les Présidents de la République, ed. Gründ), Patrick de Carolis ( La dame du Palatin, ed. Plon), Stéphanie des Horts ( Le diable de Radcliffe, ed. Albin Michel), Eric de Saint Angel ( La villa algérienne, ed. Vents Salés), Philippe Dessertine (La décompression, ed. Anne Carrière), Georges Durou (Mes printemps de barbelés 1940-1945, ed. Les nouvelles de Bordeaux et du Sud Ouest), Florence Ehnuel (bavardage, parlons-en enfin, ed. Fayard), Jacques Expert (Adieu, ed. Sonatines), Jeanne Faivre d'Arcier (Le dernier vampire ed. Bragelonne), Chekeba Hachemi (L'insolente de Kaboul, ed. Anne Carrière), Régis Jauffret (Claustria, ed. Seuil), Françoise Laborde (Ne vous taisez plus coécrit avec Denise Bombardier, ed. Fayard), Claude Lanzmann (La tombe du divin plongeur, ed. Gallimard), Antoine Laurain (Le chapeau de Mitterand, ed. Flammarion), David Lelait-Helo (C'était en mai, un samedi, ed. Anne Carrière), Eric Neuhoff (Mufle, ed. Albin Michel), Pia Petersen (Le chien de Don Quichotte, ed. La Branche), Cypora Petitjean-Cerf (La belle année, ed. Stock), Stéphanie Polack (Comme un frère, ed. Stock), Elisabeth Reynaud (les châteaux fabuleux de Louis II de Bavière, ed. Télémaque), Daniel Tibi (900 jours, 900 nuits: dans l'enfer d'une prison équatorienne, ed. Jacob Duvernet), Yves Zoberman (Histoire du chômage inédite, ed. Plon).

http://www.ladepechedubassin.fr/expo.php?id=51

http://www.sudouest.fr/2012/03/15/la-nouvelle-plage-aux-ecrivains-659335-2145.php
http://www.sudouest.fr/2012/03/16/lectures-sur-le-sable-et-tables-rondes-660421-2918.php

Prix Sorcières 2012 (jeunesse)

Abracadabra! Nous y voilà!

Après moult crêpages de chapeaux pointus et batailles de balais, nos facétieuses amies les sorcières sont enfin tombées d'accord! Et voici les grands gagnants du "Prix Sorcières 2012":

-Un peu perdu, de Chris Haughton (Thierry Magnier) remporte le prix dans la catégorie albums tout-petits.
Bébé chouette a perdu sa maman. L'écureuil propose de lui venir en aide. Hélas, il existe beaucoup de mamans très grandes, avec de grands yeux dans la forêt!
Une histoire originale et pleine d'humour pour les tout-petits!

-De quelle couleur est le vent, d'Anne Herbauts (Casterman) est le lauréat dans la catégorie albums.
L'auteur utilise du papier gauffré, de la peinture, du vernis, pour éveiller les sens et la curiosité du lecteur.
En effet, cet album, tout en poésie, s'adresse à des enfants qui ne voient pas. Ils peuvent ainsi découvrir tout un paysage de sensations!

-L'Enfant, de Colas Gutman (L'Ecole des Loisirs) reçoit le prix dans la catégorie premières lectures.
-Pardon mais t'es qui toi? [...]
J'ai pensé: "Houlala, je dois être dans la campagne profonde dont m'a parlé maman, pauvre mouton, il n'a jamais vu d'enfant de sa vie!"

-Mandela et Nelson, d'Hermann Schulz (L'Ecole des Loisirs), reçoit le prix dans la catégorie romans juniors.
Nelson et sa soeur Mandela sont jumeaux. Ils sont nés le jour où Nelson Mandela a été élu Président d'Afrique du Sud. Leur préoccupation du moment?: préparer le match Tanzanie/Allemagne! C'est la première fois que Bagamayo joue contre une équipe européenne, alors c'est le branle-bas de combat! L'équipe sera-t-elle à la hauteur? Suspense, humour, rebondissements improbables, tous les ingrédients sont réunis pour passer un bon moment, que l'on soit amateur de foot... ou pas!

L'innocent de Palerme, de Silvana Gandolfi (Les Grandes Personnes), est le lauréat dans la catégorie romans ados.
Un roman choc sur la mafia, sa violence et sa loi du silence. Le destin de deux garçons, pris dans la spirale de "cosa nostra".
Inspirée de faits réels, une histoire forte et émouvante qui vous met l'âme à l'envers.

Chimères génétiques, de julie Lannes (L'atelier du poisson soluble), reçoit le prix dans la catégorie documentaires.
Un album à mi-chemin entre l'art et la science, ou comment de nouvelles espèces pourraient émerger en croisant des plantes et des gènes d'origine animale.
Un herbier audacieux et inquétant de réalisme.

Enfin, libraires et bibliothécaires ont décerné un prix spécial à l'auteure, illustratrice Elzbieta pour l'ensemble de son oeuvre.

Les récompenses seront remises le 19 mars au Salon du livre de Paris.

Au lieu-dit Noir-Etang de Thomas H. Cook par Bernard Daguerre

Au lieu-dit Noir-Etang... de Thomas H. Cook (traduit de l'américain par Philippe Loubat-Delranc), éditions du Seuil, 19.50 euros

Un vieil homme se penche sur son passé et c'est le climat étouffant d'une petite ville de la Nouvelle Angleterre, dans les années 20 du siècle dernier qui, petit à petit, s'installe dans le récit comme une langue envahissante de brume maléfique. La beauté discrète de la nouvelle prof d'art plastique, Elisabeth Channing, trouble le jeune narrateur, Henry, fils du directeur du lycée de garçons. Très vite, on comprend qu'un drame terrible est survenu dans les mois qui suivirent l'arrivée de la jeune femme. Mais le roman n'en dévoile la trame qu'au compte-gouttes, instillant avec une délicatesse quasiment machiavélique, l'écheveau de l'histoire et la noirceur de sa trame.
Le lecteur ne sait pas trop ce qu'il faut louer le plus, une fois le livre refermé: le caractère presque fantastique du décor, cet étang retiré de la ville près duquel loge Elisabeth, dans une petite maison isolée; et non loin, celle d'un prof du lycée, un certain Reed, peu heureux en ménage et rescapé de la grande guerre. On aimera aussi les rêveries tumultueuses de l'adolescence qui saisissent Henry, assistant à la naissance d'un amour interdit par l'ordre bienséant du monde, et souhaitant en favoriser le développement porté comme il l'est par une force de jugement aussi naïve qu'aveugle. La description délicate d'autres protagonistes rehausse la profondeur de l'histoire: c'est la figure du directeur, homme plus bienveillant et lucide que ne le pense son fils, ou bien celle de Sarah, la jeune domestique irlandaise, pleine d'une avide et indomptable fraîcheur d'apprendre. Comme la peinture de ces tableaux qu'affectionnent tant Elisabeth et aussi son jeune élève, le récit du drame se construit par touches successives, comme l'assemblage d'un puzzle qui ne livre son secret que dans les dernières et redoutables images, suscitant l'admiration devant la technique romanesque, et obligeant presque le lecteur à revenir en arrière, bluffé comme il l'a été par ce nouveau roman de Cook.

Bernard Daguerre

Apocalypse Bébé de Virginie Despentes par Olivier de Marc

Apocalypse Bébé de Virginie Despentes, Le Livre de Poche, 7.10 euros

Ecrivain, cinéaste mais aussi très impliquée dans le milieu rock Virginie Despentes ne manque pas de cordes à son arc. On se souvient de son entrée tonitruante dans le monde littéraire avec son livre Baise moi ! Réputation sulfureuse, grande gueule, provocatrice Virginie Despentes a aussi du talent comme le prouve Apocalypse Bébé réédité ces jours-ci en livre de poche et prix Renaudot 2010.
Depuis son premier livre elle dépeint des êtres marginaux, pas dans la norme, ne rentrant pas trop dans les cases. C’est encore vrai ici. Lucie travaille pour une agence de surveillance privée. Chargée par une famille aisée de suivre Valentine une adolescente de quinze ans paumée, elle perd sa trace. A partir de là, les choses s’accélèrent. Lucie va s’allier à La Hyenne, détective privée et lesbienne décomplexée pour retrouver Valentine.
Présenté comme un road book Apocalypse Bébé est un roman noir qui frappe fort et juste n’épargnant personne. Par la même, l’auteur nous offre une photographie de la société assez décapante. Les personnages sont d’une densité remarquable et la fin du livre apocalyptique. Valentine a la rage : « Elle ne voit autour d’elle aucun adulte qui ait une direction. Un reste de dignité. Compromissions, à tour de bras, ils se démènent pour justifier tout ça. Ils disent que c’est un choix. Tout ce qu’il faut bouffer de merde, ils l’avalent sans rechigner. Ils ne savent qu’obéir, à n’importe quel ordre. Survivre, à n’importe quel prix. Elle va mettre un coup de frein là-dedans. Le monde qu’ils ont construit, elle va y mettre un peu d’ordre ».
Le style nerveux est celui d’un véritable écrivain. N’en déplaise aux pudibonds, Virginie Despentes fait bien partie des auteurs qui comptent. Dans sa famille on retrouve Michel Houellebecq, Bret Easton Ellis ou bien Philippe Djian. Des auteurs qui ont choisi de nous parler des marges de notre époque sans concession. Vous l’aurez compris, on est loin de la Comtesse de Ségur…
A noter que Virginie Despentes porte son précédant roman Bye- Bye Blondie à lécran : Sortie le 21 Mars. Une des héroïnes est incarnée par Béatrice Dalle. Ces deux-là doivent bien s’entendre.

Olivier de Marc