Ce livre étrange dont on ne sait s’il appartient au royaume des vivants tant la présence des morts est omniprésente, a déjà fait grand bruit en Espagne parce que beaucoup s’y sont certainement reconnus.
Il n’est d’ailleurs pas besoin d’être à tout prix espagnol pour ressentir cette part intrinsèquement ibérique d’Ordesa.
Quelques souvenirs lointains suffisent, une intrusion dans l’Espagne franquiste, le temps d’un week-end, revient aussitôt en mémoire à la lecture de Manuel Vilas. Mais pour l’auteur, écrire Ordesa contient suffisamment d’épreuves mémorielles pour ne pas s’attarder sur une mémoire collective dont il se sait malgré tout dépositaire.
Ordesa est composé de courts chapitres dans lesquels affleure la mémoire familiale de Manuel Vilas. Ses parents sont morts et il lui a fallu ces disparitions pour aborder les années où il a vécu à leurs côtés. Le père surtout qui assure une forme de prospérité de par son métier de représentant en tissus dans la région aragonaise autour de Huesca.
Une voiture, toujours placée à l’ombre, une photo prise dans un bar (reproduite comme quelques autres dans le livre), à l’âge de vingt-huit ans d’où ressort une forme de rayonnement (intérieur), voilà les indices laissés par le père.
La vision du fils, admirative, sécurisée par des souvenirs heureux des années soixante-dix dans un village modeste mais où la famille Vilas était respectée et peut-être admirée, est mise en opposition avec la vie du Manuel Vilas contemporain, cinquantenaire divorcé avec deux fils dont il sent l’immense désert d’incompréhension qui le sépare d’eux.
Cette confrontation entre deux époques, celle de l’enfance et l’âge adulte aboutit à chaque phrase à une quête existentielle.
Qu’a donc bien pu vivre l’enfant Manuel avec ses parents ? Quelle chose s’est produite que Manuel Vilas n’a pas vue ? C’est ainsi qu’Ordesa atteint sa grandeur en refaisant l’itinéraire d’un enfant accompagné de ses parents. Nous découvrons alors un récit tantôt désespéré, tantôt drôlatique où chacun peut retrouver une part de soi.
Ordesa allie l’universel au local pour paraphraser Miguel Torga habitant lui aussi de la péninsule mais du côté lusitophone. Cette péninsule coupée net par le massif pyrénéen est une énigme pour qui vient de l’extérieur. Ordesa est une région des Pyrénées espagnoles où le père de Manuel Vilas aimait se rendre. On accède par là au Monte perdido derrière quoi se trouve la France, objet de fantasme.
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