Le Royaume d'Emmanuel CARRERE aux éditions P.O.L., 23,90 euros
A PARAITRE le 28/08/2014
Emmanuel Carrère réalise pour cette rentrée littéraire 2014 de quoi le démarquer tout à fait des autres productions romanesques qui l'accompagnent en cette saison.
Oui bien sûr ce cruel besoin de catégoriser une oeuvre à de quoi énerver, quelle rassurante façon de trouver le bon tiroir pour classer et dans le même temps oublier parallèlement un écrit ? Surtout qu'Emmanuel Carrère cherche délibérément les ennuis et on se doute qu'il va rencontrer bon nombre de lecteurs irrités par une approche un peu trop moderne de la religion catholique. L'auteur a dû s'y préparer et peut-être même souhaiter l'apparition d'une levée de bouclier en ces temps où le catholicisme est souvent pris en otage par des radicaux, des ultras, bref toute une marge extrémiste comme notre époque nous en fournit tant.
Alors Emmanuel Carrère devra bien descendre dans l'arène et ne sera pas toujours certain de l'issue du combat car il paraît peu probable que les débats s'élèvent à la hauteur où il a voulu placer son livre. Ce serait d'ailleurs bien dommage car l'auteur semble en savoir long par exemple sur les évangiles sans faire non plus étalage de tout ce qu'il a lu et compris, mais quand même, il faut bien tôt ou tard citer ses sources et elles sont ici très nombreuses .
De son propre aveu, et c'est une assez longue première partie du livre, Emmanuel Carrère est un ancien pratiquant qui poussa loin sa pratique accompagnée comme il se doit pour un écrivain de ce calibre de lectures érudites . Il y eut même une part un peu délirante dans cette acceptation d'une vie entièrement tournée vers Dieu. Puis cela cessa, Emmanuel Carrère cessa de croire mais garda une fascination pour les évangiles et nous voilà partis pour une étude commentée et documentée de la vie de Paul, de Luc, de Jean, de Marc, Mathieu etc..
Emmanuel Carrère, et voilà sans doute une source d'agacement bien compréhensible mais elle est assumée, ne se perd jamais de vue. Que ce soit dans ses années de foi ou de non foi, nous sommes toujours encadrés par la vie de l'auteur qui ne manque pas de soubresauts ni de crises intellectuelles. De l'autofiction pure et dure telle qu'elle est désormais incontournable chez nos écrivains. Carrère, certes, manie celle-ci depuis un certain temps et n'est pas le moins talentueux pour narrer ses ébats autocentrés. Ils sont au demeurant souvent éclairants sur la progression spirituelle de cet homme qui a vaillamment cherché à comprendre ce Royaume, sa genèse ainsi que son expansion qu'il reconnait lui-même tenir du miracle (bien qu'il ne goûte que fort peu aux miracles).
Alors oui, il y a beaucoup de pages qui tiennent du roman dans le Royaume, son histoire tend vers cela tant il y a de possibilités d'interpréter ou de combler des vides. Emmanuel Carrère s'engage notamment dans les vies qu'il aime, celle de Paul et de Luc et n'hésite jamais à reprendre une première version des faits pour en trouver une autre et le livre chemine parfois longuement surtout après l'aveu de la page 354 où l'on croit enfin savoir à quoi s'en tenir. Mais rien n'est vraiment simple dans cette affaire de croyance, surtout lorsque l'on a affaire à quelqu'un d'aussi intelligent et qui ne s'en vante pas.
Cependant l'épilogue réserve une étonnante et même splendide surprise, comme si tout le livre n'avait été écrit que pour cette fin qui tient au sublime et trouble véritablement le lecteur. On ne peut alors douter de l'importance pour l'auteur de l'ouvrage qu'il nous tend, il y a mit le plus intime et le plus complexe de ses réflexions, de ses doutes et de ses attentes et il doit cela au Royaume, cette étrange règne qui selon lui touche à sa fin et à qui il rend au final un vibrant hommage.
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