Émile dessinait et on avait eu tôt fait de l'appeler Picasso à la maison. Ce surnom venait de son père bien sûr, qui le surveillait comme il surveillait tout le monde dans une ville de province (Châteauroux ?) où il croyait pouvoir changer l'Histoire.
Émile n'avait que le dessin pour s'échapper, pour échapper à son univers oppressant de jeune garçon destiné au rôle que lui avait attribué son père. Un rôle d'espion dans la France d'après la guerre d'Algérie quand certains français soutenaient le mouvement OAS et œuvraient pour le Général Salan et le retour de la France dans son ancienne colonie.
Bref, Émile, second de son père, avait du pain sur la planche. Chaque soir, il fallait éteindre les lumières et regarder dans la rue si rien de louche ne se produisait, écouter la radio quand le Général de Gaulle s'exprimait et subir les vociférations du père à l'encontre du "traître".
"Tu connais ton père" disait sa mère, antienne qu'Emile entendra jusqu'à la fin car la mère du petit Émile subissait tout autant le régime plénipotentiaire de son mari et ne comprenait goutte aux idées de ce dernier. Avait -elle vu le fameux Ted, l'ami américain, agent de la CIA qui pilotait de loin l'avenir d'Emile ?
" Ted sera déçu", "Ted sera content", "Ted te regarde", "C'est de la part de Ted" etc. Ted fut une couverture permanente pour le père, invisible mais toujours présent, il permit l'authentification de tout ce que le père ordonnait et qui intoxiquait Émile au point qu'il fût au bord de commettre l'irréparable lorsque, de son côté, il enrôla un copain de classe dans sa lutte secrète pour l'Algérie française.
Les années passaient, Émile dessinait toujours et comprenait de mieux en mieux combien il était aux prises avec deux êtres perdus ou plutôt coincés dans un mode de vie qui n'évoluerait plus jamais pour la raison simple que ce père n'était pas l'homme qu'il pensait être et que cette mère ne s'opposa jamais au délire continu qui s'était mis en place dans le foyer. Problème pour Émile, il s'agissait de ses parents.
Ce roman qui mêle à foison drame et comédie est incroyablement vrai, Sorj Chalandon gardait en lui cette histoire qui est la sienne. Cela n'apparaît jamais explicitement dans le livre mais il en ressort une force romanesque incontestable.
Il faut lire Profession du père jusqu'à son dernier chapitre, c'est indispensable pour saisir la grande farce de la vie telle qu'elle a été vécue par l'auteur.
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