vendredi 23 février 2018

Les uns , les autres : Cécile LADJALI

Les uns , les autres de Nathalie AZOULAI, Patrick BESSON, Arnaud CATHRINE, Emmanuelle DELACOMPTEE; Jean-Michel DELACOMPTEE, Jean-Paul ENTHOVEN, Yves HARTE, Cécile LADJALI, Franck MAUBERT, Céline MINARD, Eric NAULLEAU, Martin PAGE aux éditions Robert LAFFONT 17 euros.

Ce livre dont les bénéfices iront au Secours populaire français est le fruit d’une collaboration entre l’Hôtel Ville d’Hiver, La Librairie Générale et les éditions Robert Laffont. 

Le principe que nous avions initié avec les éditions bordelaises Bijoux de Famille s’est affermi cette année avec la participation des éditions Robert Laffont. Les douze auteurs invités à séjourner en résidence à l’Hôtel Ville d’Hiver ont chacun accepté de rédiger une histoire qui mettrait en scène une personnalité artistique, certes disparue mais dont l’œuvre continue d’inspirer et invite, si besoin était, à ajuster notre culture. 

Chaque semaine, nous vous proposons un morceau choisi des douze nouvelles censé rendre hommage au talent des auteurs qui ont su admirablement répondre au jeu auquel on les conviait.


Cette semaine : Cécile LADJALI

Charles Baudelaire au Père-Lachaise à Paris

  En fait, je crois que je finis par trouver l'extravagant du banc assez sympathique. Je lui demande s'il m'autoriserait à prendre une photographie de lui. Il me déclare qu'il n'aime pas cet art de l'instantané mais qu'en son temps il y céda, même si sur les clichés de Nadar il ressemblait déjà à son propre fantôme... Il prend la pose, glisse sa main droite sous sa blouse pour ressembler à Baudelaire devant l'objectif de Carjat en 1861. J'enclenche l'application sépia afin d'aller jusqu’au bout d'une comédie que je suis sur le point de prendre au sérieux. Il me demande s'il peut voir le cliché sur l'Iphone et récite encore : Un bon portrait m'apparaît toujours comme une biographie dramatisée, ou plutôt comme le drame naturel inhérent à tout homme...
"Sur votre photographie, on devine que mes cheveux sont verts. Vous me rendez là un bien bel hommage. Je vous remercie, demoiselle. Car sachez-le, en leur temps, ils n'ont pas tous été là.
- De quoi parlez-vous ?
- Du 2 septembre 1867. Jour de mes funérailles. On crevait de chaud. Moi dans ma boite et eux sur le chemin qui reliait l'église Saint-Honoré de Passy au cimetière Montparnasse, avenue de l'Ouest.  Asselineau et Banville ont prononcé de beaux discours. Banville prenait sur lui, toujours impeccable, même en temps de canicule, mais Asselineau pestait. Bien sûr, foin de Gautier ! Ni de Sainte-Beuve, lequel était malade. On ne peut pas toujours compter sur ses meilleurs amis dans les cas funèbres. Je suppose que Gautier préférait se souvenir de nos soirées quai d'Anjou et des nymphes aux plafonds peints que nimbaient les volutes de Hashish. Je ne lui en veux plus.
Quant à Sainte-Beuve... 
- Il est tard. Je vais y aller, monsieur"
L'étranger sort une montre à gousset de la poche de sa blouse.
" Une que le charognard du mont-de-piété n'a pas eue. Vous ne restez pas encore un peu ? Vous ne m'offrez pas un texte ?
- J'ai oublié mon carnet.
- Alors c'est à moi de vous écrire quelque chose.
- Où donc ?
- Dans votre main. Donnez-la moi.
- Tenez."
Sa main est glacée. Il écrit dans la mienne : Ô toi que j'eusse aimé, Ô toi qui le savais...


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