Voici quatre récits inédits publiés par Gallimard de la plume de Thomas Bernhard, quatre offrandes parvenues, pour ainsi dire, d’outre-tombe. Goethe se mheurt, Montaigne, Retrouvailles et Parti en fumée sont ici rassemblés avec pour seule indication, hélas, leur date de publication dans des journaux allemands entre 1982 et 1984.
L’art
du ressentiment chez Thomas Bernhard est vite reconnaissable dans chacun de
ces textes, le meilleur étant celui où dans un délire d’avant la mort,
Goethe réclame la présence de Ludwig Wittgenstein philosophe autrichien né
en 1889, soit cinquante sept ans après la mort de l'illustre écrivain
allemand.
Les élucubrations et, bien plus encore, les gesticulations
des commentateurs entourant Johann Wolfgang Von Goethe creusent un abîme
syntaxique de non-pensée ou d’évitement de la pensée d'un comique touchant
bien évidemment à l'absurde. Goethe, lui-même, extasié par l'énoncé à venir
du doutant et du non-doutant de
Wittgenstein affirme une reconnaissance et
une dette pour son successeur absolument irrésistible. Et Thomas Bernhard de
ne pas se priver, pour conclure, de rectifier la dernière et célèbre phrase
de Goethe agonisant : "Mehr licht ! mehr licht !" librement traduit par "Clarté grandiose ! clarté grandiose !" et qu'il aurait plutôt fallut entendre ainsi : "J’en ai ma dose ! j'en ai ma dose !".
Le texte
Montaigne est la quête d’un refuge niché dans une tour où gît, parmi
d’autres chefs-d’oeuvre de la philosophie, l'oeuvre des Essais. Ce recours à
Montaigne est annihilé par la famille du narrateur que fuit ce dernier dans
un ressassement dérisoire, le temps de l’ascension de la tour ralentie par
d'immenses toiles d'araignée mais galvanisée par une franche et productive
détestation familiale. "Espérons qu’il ne lui soit rien arrivé ! Cette phrase
n’était pas de Montaigne, c’était ce que répétaient les miens, qui, au pied
de la tour, allaient et venaient en me cherchant".
Retrouvailles
renvoie encore à la maudite famille mais développe une forme de libération
assénée par un narrateur qui retrouve un ancien ami. Thomas Bernhard se joue
de deux familles ayant connu le même type de vacances à la montagne, l’une
étant équipée de chaussettes et de bonnets en laine vert pomme et l’autre de
chaussettes et de bonnets en laine rouge vif. Cet affrontement stylistique
jubilatoire peut rappeler ce qu’Antoine Chatilliez développa en 1988 dans La
vie est un long fleuve tranquille avec les Famille Groseille et Le
Quesnoy.
Enfin, Parti en fumée relève, avec une méchanceté adéquate, de
la parodie du récit de voyage. L’Autriche étant bien sûr la cible de cet écrivain qui a toujours trouvé son inspiration littéraire dans le registre de la détestation.
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