Un destin d'exception de Richard YATES aux éditions Robert Laffont, 22 euros.
On n'en finit plus d'éditer Richard Yates, auteur majeur tombé dans l'oubli et découvert en France il y a une dizaine d'années avec "son" chef d'oeuvre qui en est aussi un de la littérature du XXème siècle, La fenêtre panoramique.
Dans Un destin d'exception, livre sans doute le plus personnel, le jeune Robert Prentice part combattre en France durant la 2ème Guerre Mondiale, laissant derrière lui sa mère, femme divorcée sculptrice (*) à ses heures qui l'élevait seule depuis sa séparation. On pense alors sombrer dans un énième livre décrivant la guerre d'un jeune américain de 18 ans partant au front, découvrant l'Europe et revenant Homme, avec force description de combats, d'amitiés, d'héroïsme et de lâchetés. Mais c'est mal connaître Richard Yates. On n'est pas là pour sauver le soldat Ryan, il ne faut pas compter sur lui pour ces effets qu'il laisse aux autres. Au bout de quelques pages il casse volontairement ce rythme linéaire et remonte à l'enfance de Robert Prentice: le personnage central du livre devient cette mère, qui se berce d'illusions, va enseigner la sculpture à New-York aux enfants de riches familles de la Côte Est et devenir célèbre. Elle rencontrera un homme cultivé et vivra dans une demeure somptueuse. A moins que, comme souvent dans les romans de Richard Yates, lorsque le conte de fée semble se réaliser, que l'on pourrait lorgner du côté de Scott Fitzgerald, il ne s’effrite inexorablement ; à moins alors qu'en parallèle le roman revient au présent et décrit de façon tragi-comique les combats de son fils (il casse avec son fusil une fenêtre comme il a vu faire dans des films), qu'elle ne se retrouve dans une ville, une villa paumée du Texas chez sa soeur fuyant les dettes et le réel.
Mais il n'y a jamais de regard critique, de jugement, ou, à l'opposé de valorisation, complaisance dans les défaites des êtres qu'il décrit. Ce ne sont pas des losers magnifiques, mais des personnages confrontant leur rêve au réel et inversement, et dès lors, doivent faire face à leurs failles en s'efforçant de rester dignes. C'est ce décalage, jamais sombre ni noir, qui rend ses romans d'autant plus cruels mais paradoxalement toujours bienveillant. Il reste un rai de lumière chez Richard Yates.
(*) Dans un recueil de nouvelles parues récemment Menteurs amoureux, on retrouve aussi la figure de cette mère sculptrice.
M. ROUDOUDOU
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