samedi 24 décembre 2016

Cannibales

Cannibales de Régis JAUFFRET aux éditions du Seuil, 17 euros.

A partir d’une riche bibliographie entamée en 1985 et couronnée par de nombreux prix dont celui de la ville d’Arcachon en 2012 avec Claustria, récit inspiré de la détention en Autriche durant 24 ans, d’une mère et de ses trois enfants par un certain Josef Frizl, Régis Jauffret, souvent, s’est mis en tête d’explorer les aspects monstrueux de la nature humaine.

Cannibales, qui a concouru jusqu’au bout pour l’attribution du Goncourt 2016, effleure encore une fois le genre, de par son titre d’abord quelque peu terrifiant mais qui se révèlera trompeur. 
Dès la première phrase, Régis Jauffret imagine une correspondance échangée par deux femmes sur le mode de la conversation dans un style emprunté au siècle le plus brillant de notre littérature mais aussi le plus boursouflé, le dix-huitième. 

C’est avec grand fracas que Noémie, jeune femme au caractère puissant, excentrique et considérablement imbue de sa personne, entame les hostilités avec une lettre destinée à Jeanne, femme bien plus âgée qu’elle qui aurait pu devenir sa belle-mère si Noémie ne lui faisait pas l’annonce de sa rupture avec Geoffrey, son fils, qui, injure ultime auprès de la plaignante, n’a pas daigné se répandre en lamentations pour avoir perdu un si grand amour. 

L’animosité de Noémie se reporte sur Jeanne responsable d’avoir engendrée cette créature masculine poltronne et donne ainsi le ton très affecté et précieux de chacune des lettres que, dès lors, les deux femmes s’envoient à un rythme effréné. 
Par ce procédé, assez rare aujourd’hui, Régis Jauffret fait étalage de son amour du beau langage et tient son pari de nous servir à outrance un projet consistant à fomenter les pires choses à partir de mots savamment choisis comme un venin s’écoulant dans la soie la plus fine. 

Cette détestation réciproque de Noémie pour Jeanne est un régal. La haine entretenue par les deux femmes se transforme en une association criminelle pour en finir avec la fatuité masculine représentée par Geoffrey qu’au meilleur de leur imagination, elles décident de faire rôtir.

Cannibales chevauche le temps et l’espace dans l’échafaudage de ce meurtre. Régis Jauffret, très inspiré, monte très haut dans cette surprenante pièce montée qu’il construit et signe comme un livre magistral sur la parole féminine. 

De l’avalanche d’horreurs dont on sait qu’elles ne sont et ne seront jamais advenues, nous succombons au délire de cette partie de pingpong où s’esquisse à chaque lettre une figure plus endiablée que la précédente. Or, le funeste projet de Noémie et Jeanne est grévé par la modification des sentiments, par les impondérables de la vie de l’une et l’autre en proie à des volte-face que chacune retourne toujours en sa faveur. 

La puissance de Noémie et Jeanne se terre dans la certitude de leurs choix. S’offusquer de leurs énormités, de leurs élucubrations, c’est nourrir leur raison d’être, avaliser leur existence, les rendre vivantes et oublier qu’un écrivain peut jouer avec les mots jusqu’à l’ivresse. 

Cannibales, pur exercice de style, en agacera plus d’un à l’heure où règne, sans partage ou presque, autant dans nos vies de lecteurs que dans notre société actuelle, la notion du fait divers. Régis Jauffret, pulvérise le genre, l’engloutit comme l’ogre littéraire qu’il est depuis longtemps devenu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire