Une vie à soi fait irrémédiablement écho à Une chambre à soi de Virginia Woolf. Laurence Tardieu n'y fait pas allusion car la chambre de son enfance située dans un grand appartement parisien lui rappelle, au contraire de Virginia Woolf qui le rechercha en tant qu'adulte, comme un enfermement qu'on lui aurait imposé.
Laurence Tardieu aura vécu longtemps à l'abri dans un quartier bourgeois avant qu'elle ne décide elle-même de quitter ce statut social trop confortable et de "dégringoler".
C'est par l'écriture que son destin s'est fait. La déclaration faite aux parents, sitôt après l'obtention de ses diplômes, de vouloir écrire constitue l'officialisation de sa nouvelle condition à laquelle ni son père, ni sa mère ne se sont opposés.
Bien des années plus tard, la visite d'une exposition de la photographe américaine Diane Arbus à la galerie du jeu de paume bouleverse considérablement l'auteur. Un processus d'identification s'enclenche à partir de la biographie de l'artiste américaine décédée 40 ans auparavant.
Laurence Tardieu se met alors à étudier toute la production photographique possible de Diane Arbus. Le livre s'engage dans une voie sensible que l'on peut résumer à la construction de soi. Laurence Tardieu, à pas feutrés, reconsidère la lente et douloureuse épreuve que fut sa condition d'écrivain née à partir d'une enfance puis d'une adolescence silencieuse et craintive.
Diane Arbus sert de repère absolu à sa propre progression, elle y trouve des éléments biographiques troublants.
Dans ses livres, Laurence Tardieu a beaucoup composé avec sa propre vie jusqu'à provoquer une rupture avec son père après avoir écrit sur l'affaire de corruption dans laquelle il fut jugé puis condamné.
Ce livre-ci, sans être un bilan, marque un temps d'arrêt et une réflexion sur la condition d'un écrivain en proie aux difficultés financières, sentimentales et familiales.
Le parcours de Diane Arbus à New-York dans les années 50 puis 60 trouva en Amérique une constellation de personnages totalement atypiques à l'opposé de sa condition sociale et dont elle fit des portraits qui dérangèrent énormément ses contemporains (on alla jusqu'à cracher sur ses photographies lors d'une exposition). Cette trajectoire sur quoi Laurence Tardieu s'appuie pour en faire ressort des éléments romanesques quoique évanescents prennent soudainement corps dans les dernières pages de ce livre étrange et très attachant.
S'imposent alors une conviction et un ton nouveau. Laurence Tardieu touche un point limite qui correspond à la fin tragique de Diane Arbus. Le redressement intime et intellectuel de l'auteur, au moment où tout semblait s'écrouler, surgit à l'écoute de la leçon artistique de Diane Arbus, une forme testamentaire qui apporte un élan vivifiant à l'auteur.
Diane Arbus ne s'est pas suicidée pour rien, Laurence Tardieu, grâce à elle, à son héritage, n'a pas renoncé, elle poursuit la fabrication de son identité pour en faire définitivement Une vie à soi.
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