L’oreille et la plume
par Alexandre Fillon (article paru dans le livres hebdo du 27 avril 2012)
Ancien torero, médecin généraliste, François Garcia publie son troisième roman avec la guerre d’Algérie en toile de fond.
En sortant de la librairie Mollat, à Bordeaux, il faut prendre garde au tramway. Devant un immeuble situé juste en face, rue Vital-Carles, une plaque indique : « Cabinet de médecine générale, homéopathie, acupuncture, sur rendez-vous. » Le docteur qui y reçoit se nomme François Garcia. Dans sa bibliothèque, outre des ouvrages médicaux, on repère des livres d’un autre médecin, António Lobo Antunes, ou de Pierre-Jean Jouve. Celui qui signe chez Verdier son troisième opus, Federico ! Federico !, écrit depuis l’adolescence mais a publié sur le tard.
François Garda explique pourtant avoir toujours voulu être médecin et écrivain – ses favoris en la matière restent Louis-Ferdinand Céline et Anton Tchekhov. À dix-huit ans, il décide aussi d’être torero. Rêve qu’il réalise pendant une décennie, au début des années 1970, partant sur les routes d’Espagne pour aller se prendre « une rouste » à Valence. Comme il l’a raconté dans Bleu ciel et or, cravate noire (Verdier, 2009). L’Espagne, c’est une affaire de famille. La sienne, du côté de son père, est arrivée en Gironde au 19e siècle. Le jeune François, lui, a vu le jour à Bordeaux en 1951. Il a grandi près du marché des Capucins, avant d’être interne à La Rochelle, songeant alors à rédiger une thèse sur « la métaphore médicale chez Marcel Proust ».
Adolescent, il griffonne déjà une « mauvaise poésie » trop ampoulée et influencée par Saint-John Perse. À 20 ans, n’arrivant pas à ses fins, il renonce à prendre la plume. Près de vingt ans plus tard, conscient de ne pouvoir vivre sans écrire, il décide heureusement de se remettre à l’ouvrage – au moment où il recommence également à pratiquer la tauromachie en amateur –, tiraillé par l’envie de saisir la richesse d’une communauté populaire.
Après avoir tâtonné, il trouve « un ton et un rythme ». Le manuscrit de Jours de marché, il le passe aux écrivains Jacques Abeille et Emmanuel Hocquard qui l’encouragent à persévérer. Puis il l’adresse à P.O.L., qui hésite et ne le prend finalement pas. Liana Levi l’accepte et le publie en 2005. Premier roman remarqué, repris depuis dans la collection « Piccolo », Jours de marché lui vaut la bourse Thyde-Monnier de la SGDL, une belle presse et une édition en France Loisirs. Chez Mollat, il s’en est écoulé pas moins de 2000 exemplaires.
Écouter et comprendre. Son auteur revendique l’usage d’une langue parlée, avec beaucoup d’incises et de dialogues, sans toutefois tomber dans le procédé. Passionné par les études de caractères, il cherche à restituer le quotidien de gens qu’il a pu croiser, à rendre compte d’une réalité sociale. Peu sensible aux taureaux, Liana Levi refuse ensuite Bleu ciel et or, cravate noire. Un « road-movie picaresque » qui montre « jusqu’où peut aller une vocation », peint l’après Mai 1968 et les dernières années du franquisme. Le texte sortira finalement dans la collection « Faenas », dirigée par Jean-Michel Mariou chez Verdier. La maison de Lagrasse, il y récidive avec Federico ! Federico ! qui a demandé une solide documentation et trois années de labeur.
Parti de « la voix de l’enfance », François Garcia ne pensait d’abord pas parler de la guerre d’Algérie. Des images de types en sang dans les rues de Bordeaux quand il avait sept ans lui sont revenues en mémoire. Le romancier a relu Le premier homme de Camus, les Bloc-notes de Mauriac. Il a rencontré un politicien anticolonialiste ayant fait son devoir de soldat en Algérie, un Algérien proche du FLN. Épuise, le soir après une journée de travail, François Garcia se lève la nuit et prend des notes. Au petit matin, dans un café, il remplit ses carnets jusqu’à 8h30, prépare ses scènes, corrige beaucoup.
Cet homme élégant dit prendre le temps d’écouter et de comprendre. Ses patients comme ses personnages. Amateur de sport en général et de football en particulier, il avoue une préférence pour les Girondins et pour Manchester United. Tout en se souvenant d’avoir été au stade Bernabéu avec son père en 1965, ou d’avoir assisté à un mémorable Ajax-Buenos Aires dans une ambiance de hooligans en 1973. Son prochain livre est entamé, bien qu’il ne sache pas encore dans quelle direction s’engager. Parions qu’il s’agira à nouveau d’une comédie humaine avec sa part d’humour et de tragique.
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