Ce livre dont les bénéfices iront au Secours populaire français est le fruit d’une collaboration entre l’Hôtel Ville d’Hiver, La Librairie Générale et les éditions Robert Laffont.
Le principe que nous avions initié avec les éditions bordelaises Bijoux de Famille s’est affermi cette année avec la participation des éditions Robert Laffont. Les douze auteurs invités à séjourner en résidence à l’Hôtel Ville d’Hiver ont chacun accepté de rédiger une histoire qui mettrait en scène une personnalité artistique, certes disparue mais dont l’œuvre continue d’inspirer et invite, si besoin était, à ajuster notre culture.
Le principe que nous avions initié avec les éditions bordelaises Bijoux de Famille s’est affermi cette année avec la participation des éditions Robert Laffont. Les douze auteurs invités à séjourner en résidence à l’Hôtel Ville d’Hiver ont chacun accepté de rédiger une histoire qui mettrait en scène une personnalité artistique, certes disparue mais dont l’œuvre continue d’inspirer et invite, si besoin était, à ajuster notre culture.
Chaque semaine, nous vous proposons un morceau choisi des douze nouvelles censé rendre hommage au talent des auteurs qui ont su admirablement répondre au jeu auquel on les conviait.
Cette semaine : Martin PAGERomain Gary à Mesquer
On descend à La Baule, qui est une bonne ville pour traîner avec un cadavre. Un taxi nous transporte sur une côte plus sauvage et moins pourrie par les conseillers fiscaux : Mesquer.
Je tire le cercueil sur la plage, face à l'océan sur le sable et les algues. La marée monte peu à peu. Le soleil se lève. J'ai bien fait d'emporter un manteau.
Maintenant : ouvrir le cercueil. Il n'y pas de serrure, pas de bouton. C'est clos de manière à ne pas pouvoir être aisément ouvert. Les concepteurs de cercueils ne sont pas des êtres optimistes.
Je regarde autour de moi. Une coquille d'huître morte. Ça marche. Je l'ouvre en grand. Je ne m'attendais pas à une telle odeur. Je recule d'un bon mètre et je détourne la tête. Ça sent l'orange aux clous de girofle. L'odeur est forte et émouvante.
Les vagues s'écrasent sur le sable une centaine de mètres plus bas. Un couple se promène en se tenant la main.
Je me rappelle un cours de biologie : le corps est constitué à soixante pour cent d'eau. Il y a une amitié des corps pour l'océan, c'est certain. Gary et moi ne sommes pas ici par hasard.
Je me penche sur le cercueil.
Ses yeux sont fermés. Je craignais que sa blessure soit impressionnante, mais ça va, il a été recousu.
Et maintenant qu'est-ce que je suis censé faire ? Je ne vais pas parler à un être inanimé, ça me rappelle trop les cocktails littéraires.
Une formule incantatoire. Il me faut une formule incantatoire.
Les formules magiques sont là, disponibles, personne ne les voit, elles sont légion. Les phrases de tous les jours réveillent les morts, font exploser les cœurs, déclenchent des guerres, mettent des corrompus en prison, envoient des fusées dans le ciel. La langue ravage et construit des mondes. Ce qui compte c'est l'intention, et ça tombe bien je suis chargé en intention.
Je dis : "Romain Gary, réveille-toi d'entre les morts et accepte de discuter avec moi, abracadabra !" d'abord doucement, puis de plus en plus fort. Je lève mes mains au-dessus de ma tête pour tenir le soleil entre mes doigts. Je scande ma phrase vingt et une fois, comme le veut ma religion intime et secrète.
Je m'arrête, essoufflé. Rien ne se passe. Un instant, je pense : "Et si Romain Gary et moi ne nous entendions pas ?" Nous sommes très différents. J'ai peur qu'il soit arrogant et pas très sympa. Il a été diplomate, après tout.
Je m'assois sur le sable. C'est raté. L'occasion d'avoir une discussion avec quelqu'un se solde à nouveau par un échec. Je n'arrive à rien, ni avec les vivants, ni avec les morts.
Le bruit d'un tissu, un frottement. Je redresse la tête. Des doigts apparaissent sur le rebord du cercueil, puis des cheveux, le bout d'un crâne, un visage complet. Romain Gary se lève. Je l'imite. Il regarde l'océan et se passe la main dans les cheveux.
"J'ai soif."
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