En janvier 1832, voici ce qu'on peut lire dans Le National: "Une année difficile vient de se terminer: une année plus difficile peut-être commence".
L'année 1832 est l'objet du dernier ouvrage des excellentes éditions Anamosa, sous une forme très originale: 1832 se déroule mois après mois à travers les voix de quatre femmes: voix épistolaire d'Adélaïde, voix de l'interrogatoire pour Louise, voix du discours pour Emilie, et voix du récit introspectif pour Lucie.
Toutes les quatre - dont le moyen d'expression est le reflet de leur condition sociale, de leurs idées politiques et religieuses - sont autant de témoignages sur les événements de 1832 à Paris : année charnière car elle voit non seulement arriver une épidémie de choléra, mais Paris continue d'être le théâtre d'émeutes, d'insurrections contre Louis-Philippe et la monarchie de Juillet. Le groupe des saint-simoniens, dont fait partie Emilie, repense notamment la place de la femme dans la société.
Car il s'agit bien de femmes dans cet ouvrage, au parfait carrefour entre fiction et réalité. L'auteur Thomas Bouchet (à l'origine aussi du très bon Noms d'oiseaux, l'insulte en politique de la restauration à nos jours), a en effet choisi de décrire le Paris de 1832 grâce à quatre voix qu'il a lui-même imaginées. Adelaïde ne devient pas pour autant un personnage de fiction : craignant d'être atteinte du choléra, elle livre son quotidien dans une correspondance avec son amie, dont le lecteur ne lira jamais les réponses mais qui les devinera à travers les réactions d'Adélaïde, et ce en suivant "comme dans un roman" l'évolution du personnage à mesure des événements parisiens. Lectrice assidue de "La Gazette", elle fait un compte-rendu à son amie des dernières nouvelles politiques, sociétales mais aussi ses coups de cœur littéraires et culinaires.
Cette légèreté de ton vient contrebalancer celui des trois autres femmes : Emilie, qui manie à la perfection le verbe lors de ses discours en faveur du saint-simonisme, Lucy, jeune femme cloitrée dans le couvent de la rue Neuve-Sainte Geneviève et en proie à des démences, et enfin Louise, insurgée, emprisonnée, sujette à l'interrogatoire de la police. Ces quatre femmes, sensibles et fortes, forment un quatuor de témoins d'une époque plongée dans l'attente, la tension, la douleur et l'ennui.
On peine à croire qu'elles n'ont pas existé. La question n'est plus là : Thomas Bouchet leur donne corps, elles sont bien là devant nos yeux aguerris, toutes quatre à tenter de de se sortir des prisons réelles ou fictives dans lesquelles leur champ de liberté se trouve limité. Au delà d'une lecture passionnante et stimulante, Thomas Bouchet nous invite à dépasser les codes de la fiction pour mieux atteindre la réalité historique.
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