Dans le dernier roman de Philippe
Claudel tout élément est évoqué, raconté, mais jamais nommé.
Le lieu tout d'abord: "Une île
quelconque. Ni grande ni belle. Guère éloignée du pays dont elle
dépend mais qui en est oubliée, et proche d'un autre continent que
celui auquel elle appartient, mais qu'elle ignore". On peut
imaginer que, dans un tel endroit, tout peut arriver. Ou rien du tout,
voilà bien le sujet de ce livre: quand arrive le pire, un matin, on
fait en sorte de le rendre à néant, lorsque trois corps s'échouent
sur une plage de l'île, les protagonistes – jamais nommés-
s'empressent en effet de les enfouir sous terre.
Mais voilà, sur cette île, la terre
n'est pas comme ailleurs: un volcan endormi gronde de temps à autre,
le sol est fait de lave qui assèche le paysage, rend les saisons
hostiles.
Revenons à ces personnes: le maire, la
Vieille (l'ancienne institutrice de l'île), l'Instituteur (le
nouveau), Amérique (l'homme à tout faire), le Spadon (pêcheur
d'espadons), et le docteur. Tous sont, ce matin là, témoins gênés
de ces trois corps noirs, qui viennent d'on ne sait où, mais dont on
sait pertinemment l'origine ou du moins le motif de leur fuite, de
leur épopée, et de leur mort.
La vie de ces témoins bascule ce matin
là. Bouleversé, l'instituteur fera tout pour rendre justice à ces
trois cadavres. Les autres, au contraire, rentrent à la perfection
dans leur rôle, celui qui les définit et qui les incite à ne pas
sortir du moule, ne pas faire de remous pour ne pas perturber la
routine et les traditions de l'île, et donc à la protéger des
regards, de l'étranger et de l'inconnu.
Le lecteur est donc balancé entre
réalité -nous faisons très vite le lien avec la crise des
migrants- et fiction romanesque écrite de main de maître. Nous
retrouvons un suspense digne des meilleurs romans noirs, une mise en
scène qui pourrait s'apparenter à du théâtre, et nous mettons un
pied dans nos vies quotidiennes. Tous ces éléments font de ce roman
un grand moment de lecture, qui reste en nous précieusement.
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