En refermant le dernier livre de Jean Echenoz, après en avoir lu toutes les pages bien sûr, un souvenir doit en principe nous saisir, celui de Constance, au deuxième chapitre, enlevée par un homme au demeurant charmant, habillé tout de bleu. Ces deux-là ressurgissent pour un dernier tour à la toute fin du roman quand l'homme toujours de bleu vêtu fait à nouveau étalage de son irrésistible pouvoir de séduction.
Voilà qui pourrait réduire le dernier roman de Jean Echenoz et de beaucoup d’autres, si ce n'est tous, à un simple exercice de séduction, brillant, certes. Avouons aussi que tout le monde n'est pas obligatoirement sensible à cet exercice, il existe des lecteurs indifférents, des froids de cœur qui ne partagent pas la délicatesse de Jean Echenoz qui n'est, soit dit en passant, pas un agneau non plus car il sait aussi rudoyer son lecteur mais cette rudesse est toujours compensée par un indéniable sens de l'humour qu'Echenoz, au fil des ans et donc de ses romans, a érigé en marque de fabrique au point de rendre l'humour "echenozien" reconnaissable d'entre tous. Ces ingrédients mis en pratique dans une écriture toujours virtuose peuvent aboutir à ceci :
"Depuis la terrasse du Mandarin, levant un instant les yeux au ciel, Tausk voit celui-ci traversé par un Boeing dont les tuyères laissent après lui leur habituelle traînée de vapeur d'eau, condensée par les - 20° C de l'altitude et formant un fil blanc de cristaux de glace épanoui en halo triangulaire irrégulier, nuage artificiel qui moutonne vite et qui, déjà flouté par la bâche, pâlit avant de s'éclaircir et se décomposer. Revenant à son bobun, Tausk oublie rapidement ce B777-300ER d'Air China, destination Pékin, dans lequel une heure plus tôt Constance et ses gardes du corps ont embarqué, eux en classe économique, elle en classe de luxe "Pavillon Interdit" où l'on vient de lui servir une deuxième coupe d'Armand de Brignac avec un ravier de caviar sauvage, Jean-Pierre et Christian n'étant gratifiés à l'arrière que d'un club-sandwich décongelé sous blister et d'une Tsingtao chambrée."
Et voilà que, bien que Constance, héroïne majeure d’Envoyée spéciale, soit tout compte fait un personnage absolument passif au regard de tous les autres qui semblent s’activer auprès d’elle dans un but pas toujours très clair sinon peut-être de lui plaire, car, à nos yeux, elle s'accommode tout au long du roman d'à peu près tout ce qu'il lui arrive et passe objectivement d'excellents moments tout au contraire de ceux qui l'accompagnent de Paris à la Creuse, de la Creuse à la Corée (celle du nord) jusqu'à son retour au point de départ, nous regrettons de ne pouvoir entendre la chanson au succès planétaire y compris et surtout en Corée (celle du nord toujours) qui est finalement cause de tout. Cependant, son titre « Excessif » permet à Jean Echenoz de nous donner des nouvelles du monde tel qu’il le voit, ce qui signifie ne pas faire dans le spectaculaire (quoique) mais se révéler parfaitement bien renseigné.
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