vendredi 26 mars 2021

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre

Traverser la nuit d’Hervé Le Corre aux éditions Rivages, 20,90 Euros.

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Autant commencer par avertir celles et ceux qui ne connaissent pas la définition d’un roman noir. Traverser la nuit leur en donnera un exemple frappant. 

 

A ce titre Hervé Le Corre ne fait jamais les choses à moitié, la cruauté qu’il emploie semble venir d’un réel tout proche qui - certes et fort heureusement - ne concerne pas la majorité d’entre nous mais ce réel-là se tient tout près. Il fait partie de ce que nous ne voulons pas de prime abord regarder, il se tient dans ce que l’on a un peu facilement défini comme étant la marge. Celle que l’on évite à toute force lorsqu’elle se présente à nous. 

 

Hervé Le Corre lui s’y arrime et cette fois par le biais d’un commandant de police nommé Jourdan. Cet homme - sinon qu’il est un flic - n’est, pas plus qu’un autre, délesté de la misère sociale qui l’entoure. Il en est même au stade de ne pouvoir la supporter. Sa limite de l’acceptable semble être atteinte mais voilà son boulot de flic ne lui laisse aucun répit. 


Les affaires sordides, comme Bordeaux peut en fournir, sont légions. Bordeaux ou ailleurs, mais la capitale girondine suffit amplement à Hervé Le Corre qui en connait les recoins les plus sombres et les plus inquiétants. Il peut aussi bien nous embarquer en bord de rocade dans une station service la nuit où les routiers se soulagent auprès de quelques dames ou nous entraîner dans la campagne délavée du médoc en bord d’estuaire et côtoyer les frasques incestueuses d’une famille en décomposition. Ou encore, et plus spectaculairement, braquer une torche assassine sur une maison andernosienne prise en otage par un fou désespéré et enfin, pour finir, nous projeter sur le parking d’une zone commerciale à ses heures de fermeture pour un tabasse en règle entre voyous. 


Bref, si le décor de Traverser la nuit nous est proche voire vulgaire, cette proximité enclenche un fort sentiment d’effroi lorsqu' avec Jourdan et son équipe nous constatons tout le mal qu’il y a été fait. 


Si Jourdan est un témoin des carnages que son statut professionnel autorise, sa vie privée en subit aussi des dégâts collatéraux. Enfermé dans une solitude volontaire, il voit s’éloigner femme et enfant lassées de cette incommunicabilité censée les protéger.

A l’autre bout de cet échiquier cruel se trouve Louise que Jourdan finira par rencontrer. Cette jeune femme qui a déjà connu le pire subit les attaques répétées de son ancien amant, un être ravagé par l’alcool et la drogue, miné tantôt par le remords, tantôt par une jalousie démentielle qui frappe aveuglément. 


Ici Hervé Le Corre nous attire au plus profond de la détresse ordinaire : la violence conjugale. Pénétrer l’intimité de ceux qui reçoivent les coups, qui saignent, qui pleurent et qui tentent de sauver leur bien le plus cher, en l’occurrence Louis, son jeune fils de huit ans. 


Traverser la nuit mêle ces deux misérables destins à une série de meurtres sauvagement perpétrés dans la nuit bordelaise. Un homme qui le jour ploie sous le poids d’un travail ordinaire, tue la nuit venue, selon ses pulsions, des femmes choisies en fonction de leur vulnérabilité. C’est ici que la noirceur du roman se dégage le plus. Jourdan et son équipe progresse avec le plus grand mal dans leur enquête. L’homme qu’ils recherchent est insaisissable, ses actes sont incontrôlables et son secret se terre forcément dans son origine sociale et familiale. 


Tout l’art d’Hervé Le Corre se situe dans cette exploitation de la misère humaine, son décryptage profond des racines du mal. C’est éprouvant à lire mais l’auteur distribue les rôles avec un sens exact de la mesure. Les coups font mal mais détiennent chacun leur vérité. 

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