Changer d’air de Marion Guillot aux éditions de Minuit
Que devient l’école de Minuit ? Où en est cette précieuse maison dont on n'ose presque plus évoquer les grandes figures qui sont pourtant immuables. Citons Beckett, Duras, Simon et Sarraute, des piliers de Minuit mais aussi des représentants majeurs de la deuxième moitié du XXème siècle. On peut toujours discuter la pérennité de leur œuvre mais ces auteurs ont bâti les fondations de la maison et ont donné l’assurance d’une qualité d’écriture que l’on peine à retrouver ailleurs sur une pareille durée.
La disparition de Jérôme Lindon (directeur de 1948 à sa mort en 2001) et l’héritage assuré par sa fille Irène ont modifié forcément son histoire mais celle-ci continue avec Jean Echenoz notamment, le dernier prix Goncourt de Minuit (1999), brillante tête de gondole à qui l’on doit d’ailleurs un récent roman qui rassure sur son état de forme et le conforte dans son rôle (non assumé) de commandeur, non seulement des éditions de Minuit mais des lettres françaises dans leur ensemble, n’en déplaise à Michel Houellebecq.
A ses côtés, Jean-Philippe Toussaint, Laurent Mauvignier, Yves Ravey voire Eric Chevillard côtoient dignement le « maître » ayant chacun acquis une cohorte d’admirateurs qui attendent avec impatience une prochaine parution.
Cette génération d’auteurs qui a succédé avec les honneurs aux grands aînés est désormais suivie d’une nouvelle aux accents prometteurs, encore faut-il prendre la peine de la découvrir et de la soutenir.
Julia Deck et Vincent Almendros avec une petite préférence pour ce dernier sont d’incontestables héritiers mais voici qu’une nouvelle venue vient renforcer cette délégation. Elle se nomme Marion Guillot et la sonorité de la « petite » Guillot est, à maints égards, très intéressante.
Nous savons depuis longtemps que l’histoire du roman est truffée de héros qui n'en sont pas. Ils sont même légion depuis, voyons voir, Laurence Sterne, Miguel de Cervantes, Robert Musil… N’écrasons pas celui que vient de créer Marion Guillot, considérons cependant qu’il a une particularité bien à lui, celle de l’abandon.
Tel un coureur cycliste (ayant peut-être pris de mauvais produits) qui mettrait, contre toute attente, pied à terre au troisième ou quatrième lacet d’un col, le personnage de Changer d’air s’arrête. Pensant que sa vie n’a plus de sens, il quitte la scène sociale où nous ne l’avons d'ailleurs jamais vu évoluer. C’est le début.
Ce déclic lui est parvenu lors de la chute spectaculaire d’une femme dans les eaux du port de la ville (Lorient ?), chute dont il a été un témoin passif.
De cette situation humiliante et ridicule une brèche s'est ouverte dans la vie de notre cycliste qui est en fait un professeur de collège, marié et père de deux enfants.
Calmement, sereinement presque, il annonce son éloignement du domicile conjugal, son installation dans une autre ville (Nantes ?) et la cessation de son activité professionnelle.
Ainsi assistons-nous à cet arrêt, une mise au point mort de la vie de quelqu'un qui ne souhaite pas se relancer, pas dans l’immédiat. Il entame plutôt une observation aigüe des gens (la déambulation par exemple des voyageurs dans les gares..) mais aussi de son nouvel appartement (sa nouveauté, sa vacuité, les possibilités de l’améliorer) et pour finir des gesticulations vaines de ce poisson rouge dont il a fait l'acquisition, histoire de combler sa solitude. Restent encore les échanges ubuesques avec son seul et meilleur ami qui seront plus tard marqués du sceau de la trahison.
Le discours de cet étrange personnage nous apprend quelles préoccupations parfois infimes et souvent futiles le paralysent. Tout cela pourrait à son tour tenir dans un bocal avec le risque de mourir asphyxié (ce qui arrivera au poisson) s’il advenait d’en sortir.
Cette sonorité très originale (répétons-le) qui se dégage de l’écriture de Marion Guillot, se prête parfaitement à l’appel lointain d’une personne perdue, l’appel d’une sirène peut-être car l’élément aquatique est omniprésent bien que contradictoire avec le titre.
Mais Changer d’air équivaut d'abord à quitter son environnement pour un autre et réclame une adaptation que notre (anti) héros sent impossible à atteindre.
La fin est heureuse, belle et touchante. Il faut la laisser venir et découvrir la subtilité qui habite chacun des protagonistes ainsi que le mélo amoureux qui en découle car finalement la dépression atmosphérique qui s’est abattue sur notre homme avait pour origine un sentiment perdu, que Marion Guillot aurait toutes les raisons d'approfondir à l'occasion de ces prochains livres puisque celui-ci était son premier.
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