vendredi 13 mars 2020

Laisse aller ton serviteur de Simon BERGER


Laisse aller ton serviteur de Simon BERGER aux éditions Corti, 14 euros.


Il est heureux d’avoir repéré un texte n’excédant pas cent-vingt pages au moment où nous célébrons dans notre librairie, comme ailleurs chez nos confrères indépendants de la Nouvelle-Aquitaine, les Pépites en stock. 

Laisse aller ton serviteur de Simon Berger correspond à une pépite qui se présente non pas comme l’intimidant pavé annonçant des semaines voire des mois de lecture mais comme un livre à l'allure modeste et néanmoins précieuse dont la sympathie perdure, qualité qu'on aimera partager ou offrir pour un prix que l’on s’étonnera avec plaisir de voir faible.  

Mais que raconte ce primo romancier d’à peine vingt ans que les éditions Corti ont lancé dans la carrière d’écrivain ? Une histoire assez osée si l’on peut dire dès lors qu’elle s’empare d’un géant créateur tel que Jean-Sébastien Bach. Mais le Bach dont Simon Berger se saisit est un jeune homme (de vingt ans justement), organiste à Arnstad dans la province forestière de Thuringe. La réputation précoce du musicien lui vaut d’être informé du progrès musical ou plutôt des événements qu’on lui attribue. Ainsi lui amène t-on une copie d’une composition nouvelle du grand Buxtehude qui vit à quatre-cents kilomètres de distance dans la prestigieuse ville de Lubeck. 

Le déchiffrement de la partition qu’on lui a secrètement remise et la révélation qu’elle produit intime à Jean-Sébastien d’aller rendre de facto hommage à son maître. Laisse aller ton serviteur est la narration de ce projet et de sa réalisation. Celui qui n’est pas encore (et ne le sera d’ailleurs jamais de son vivant) un monument de la musique s’engage dans un moment décisif de sa vie. L’humilité et la détermination se joignent à la volonté divine que le narrateur, invisible compagnon, entoure avec surprise de beaucoup d’humour. Au terme de cette aventure partagée au plus près qu’il nous semble l’avoir vécue nous-même, ce prodige de la narration nous renseigne sur ce que nul n’a su - sinon Bach lui-même - de ce voyage qui dura quatre mois et qui modifia considérablement l’histoire de la musique.

Extrait :

Arnstadt est une ville glaciale en hiver. Plus que toutes les autres villes de Thuringe, Arnstadt, en hiver, est une ville glaciale. Les autres villes et les autres villages de Thuringe ont des hivers sans histoire. La pierre est grise et la neige recouvre les pavés. Il ne se passe plus rien jusqu’aux premiers remous du printemps – rien, si rien ne sont les traces de calèches et de pas sur cette neige qui ne veut pas fondre. Les villes et les villages de Thuringe, Arnstadt exceptée, vivent un hiver paisible. C’est à peine si l’on y soupçonne encore les vieilles légendes, les loups dans la forêt, ou les jeunes filles ravies par des hommes de glace. Voici que la Thuringe a pris ses quartiers d’hiver.
Mais Arnstadt fait exception. Comprenons-nous bien : ce n’est pas qu’à Arnstadt, il y ait des neiges plus volatiles, des pierres plus grises, ou des loups plus effrayants. Arnstadt, au contraire, n’a rien d’émouvant. À la limite, on peut aller en Thuringe sans visiter Arnstadt. Arnstadt pourrait être une ville dispensable. Plutôt, Arnstadt aurait pu être une ville dispensable.

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