vendredi 7 juin 2019

J’entends des regards que vous croyez muets d’Arnaud CATHRINE

J’entends des regards que vous croyez muets d’Arnaud CATHRINE aux éditions Verticales, 18 euros.
Arnaud Cathrine l’a dit, le titre de son dernier livre est tiré d’une pièce de Racine (Britannicus). En recherchant la citation on trouve le vers qui précède et celui-ci, plus explicite, aurait également pu convenir, le voici : «Vous n’au­rez point pour moi de langages secrets ».

Où qu’il soit, chez lui (à Paris), dans le TGV, à la plage (à Arcachon), en Normandie, ailleurs, quelle que soit la personne, il en découle une histoire, une possible histoire que l'intelligence de l'auteur, sa sensibilité mais encore son imagination affûtent. Les écrivains sont des éponges, tout ce que vous laissez traîner, ils  peuvent en faire leur miel.

J’entends des regards que vous croyez muets est comme une immersion dans notre société dont Arnaud Cathrine fait évidemment partie. Nous y découvrons les pensées d’un homme curieux de son prochain, susceptible de suivre son voisin à travers Paris ou d’inciter un autre (voisin) à s’occuper d’une fuite d’eau. Arnaud Cathrine ne s’oublie pas jusque dans l’infime ou le dérisoire quand il faut rallumer la lumière du couloir pendant que des pompiers s’escriment à ranimer (en vain) un mourant. 
Mais la situation de spectateur passif lui convient mieux, ainsi le récit de la déroute d’une bourgeoise sans billet valable contrôlée dans le train est une merveille. Arnaud Cathrine fait preuve d’un ton élégamment narquois qu’il n’hésite pas à retourner sur lui-même car le plus intéressant dans ces micro-histoires sont les aperçus de la vie de l’auteur jusqu’à, à doses bien dosées, son intimité propre. 

En soulevant le voile sur la vie d’inconnus dont il ne fait qu’observer les gestes et les attitudes (et quelquefois les paroles), Arnaud Cathrine échafaude des scénarios, spécule avec humour ce qui atténue le sérieux avec lequel il étudie ses « proies » puisqu’il se définit comme un chasseur. 

On ne sait à quelle sociologie il touche en espionnant le monde qui l’entoure mais une vérité sourde s’en dégage, une mosaïque de nous-mêmes vue par le prisme d’un auteur pris en tenaille entre sa vie et celles qu’il imagine.

On s’habitue très vite à ce voisinage itinérant, on en demande encore lorsque le livre s’achève. Nous sommes devenus aussi voyeurs que l’auteur car nous aimons son décryptage, nous aimons sa perception de nous-mêmes, nous sommes son décor et il nous le rend bien.

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