samedi 15 mars 2014

Le désordre AZERTY d’Eric CHEVILLARD aux éditions de Minuit, 17 euros.

 Pour qui veut étudier l’œuvre d’Eric Chevillard d’ici quelques années lointaines, après sa mort par exemple (mais gare !  l’homme est toujours en pleine forme et de nombreux livres sont encore à venir), gageons que celui-ci fera date pour la quantité, que dis-je, pour la mine d’informations que l'on peut extraire à propos de l’auteur, de sa vie, de son œuvre. 
Effectivement, dans le désordre de cet étrange arrangement figurant l’alphabet sur les claviers des ordinateurs, nous apprenons beaucoup d’Eric Chevillard. Nous retiendrons, avant tout, une rage formidable et grandissante envers quelque chose que l’on pourrait nommé modernité mais celle-ci paraissant elle-même aujourd’hui démodée, le terme de mondialisation semblerait plus proche, et  celui de bêtise plus adapté car Eric Chevillard qui ne côtoie pourtant guère la sphère politique produit néanmoins et peut-être même sans le savoir tel, ni même s’en émouvoir, une force politique qu'il représenterait et derrière laquelle s’engageraient, à corps perdu, des troupes fanatiques plus ou moins silencieuses. Pour le dire simplement, si quelques uns ne savent pas pourquoi ils n’aiment pas Chevillard l’inverse est impossible.
Eric Chevillard depuis toujours dénote considérablement dans le paysage littéraire français. Les critiques l’admettent. Pourtant, ses fulgurances verbales émanent d’une tradition française que l’on peut encore aujourd'hui nomme  le style.
Et vous voici expédiés  à la page 88 de ce Désordre AZERTY on l'on trouve une définition du termes, après quoi vous serez libre de penser ce que bon vous semble.

Le STYLE est un phénomène remarquable d’abord en cela que la spontanéité et la sophistication n’y sont point inconciliables, contrairement à ce que l’on observe dans les salons, et que celle-ci précède celle-là en dépit du bon sens, pourrait-on dire. En effet le style n’est pas une faculté innée, on en perçoit rarement les inflexions futures dans le cri primal de l’écrivain nouveau-né. C’est une voix qui, plus ou moins longtemps, se cherche. Le style se dégage peu à peu de la gangue de la langue commune. L’écrivain dit s’en doter comme de son épée le chevalier des contes, mais – à moins de demeurer dans l’imitation d’un maître-, il y va sûrement, d’instinct, il finit par le trouver : et c’est bien le sien, à nul autre (exactement) semblable. C’est une originalité séparée de l’origine par des années d’apprentissage, de décantation, de fermentation ou de raffinage, de tâtonnements, mais qui est pourtant au commencement de tout, dont la maîtrise enfin marque le départ de l’œuvre. Le style est la langue natale de l’écrivain : le pays suit, l’espace intellectuel et sensible qu’il ordonne. Si singulier et élaboré soit-il en regard de la langue utilitaire dont il s’est démarqué, le style doit alors être tenu pour naturel. Il l’est devenu, comme le geste si complexe (si peu enfantin) de faire un nœud devient finalement une évidence. Il ne relève pas d’un quelconque exercice, patient et forcené, comme on le croit volontiers, il ne se donne pas en spectacle, il ne soucie pas de virtuosité ; il est tel ; l’effort serait de le juguler, de le contenir.

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