Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud, éditions Actes Sud, 19 euros
Cuisine interne, les prix sont finis.
Parmi les nommés, Kamel Daoud a longtemps fait parler de lui. En raison d'Albert Camus, bien sûr, le "héros" tel qu'il est souvent appelé dans Meursault, contre-enquête. Cela a joué pour et contre Kamel Daoud.
Il est vrai que longtemps on ne sait où veut en venir Haroun le narrateur de Meursault, contre enquête. On comprend vite que celui-ci revendique être le frère de l'arabe tué dans L'étranger mais il se garde bien de citer le titre du livre. C'est une des clés narratives du roman qui ne cesse d'évoquer l'épisode central du grand livre de Camus, l'assassinat d'un arabe sur une plage d'Alger en plein soleil, il y a plus de soixante ans, par un français du nom de Meursault. Et c'est bien là le hic de cette histoire qui tourmente Haroun constatant avec effroi que si l'assassin porte un nom, la victime, elle, reste anonyme.
Nous prenons donc connaissance de l'histoire de Moussa, l'arabe tué en 1942 jamais nommé dans L'étranger. Plus précisément, nous écoutons l'histoire d'Haroun dont nous découvrons le tempérament et les secrets qui l'accompagnent. Sa vie a traversé l'histoire de la jeune nation algérienne de 1962 à nos jours. Elle nous est racontée du fin fond d'un bar qui héberge chaque jour ce frère hanté par un mort, un martyr mais encore, longtemps étouffé par une mère amputée d'un fils au détriment d'un autre qui a eu le tort de rester en vie.
Ce fils restant, qu'a t-il fait de sa vie à l'ombre de ce frère, tué deux fois, dans la vie réelle, puis dans un livre ?
Kamel Daoud n'instruit pas un procès à l'encontre de Camus, bien au contraire, il en épouse malicieusement le style (donc les thèses), notamment lors de l'interrogatoire subi par Haroun dans les jours qui suivirent l'indépendance de l'Algérie. Une forme de détresse apparaît chez lui, ponctuée par un vif désenchantement. S'adressant à un témoin invisible et muet, Haroun raconte ce qui pèse en son âme depuis ses plus jeunes années jusqu'à aujourd'hui où il passe pour un vieux fou.
Kamel Daoud procède par interpellation : "As-tu bien noté ? Mon frère s'appelait Moussa. Il avait un nom. Mais il restera l'Arabe, et pour toujours."
Le lecteur, qui ne sait rien de cet arabe tué dans L’étranger, va connaître la face cachée de cette histoire, autrement dit, le point de vue algérien. Mais ce point de vue est dépourvu de haine, il évite tous les écueils du ressentiment facile. Nous sommes à l'opposé de la caricature qui se résumerait au bon arabe contre le mauvais français. Kamel Daoud est présenté par son éditeur comme le chroniqueur journaliste le plus lu en Algérie.
Autant dire qu'il n'appartient pas, loin s'en faut, au mouvement islamiste intégriste qu'il égratigne voire provoque à maintes reprises. Meursault, contre-enquête est un livre courageux, conscient des risques encourus et de la mauvaise interprétation possible de son sujet.
Le jury du prix Goncourt, à une voix près, a failli prendre un autre risque, celui de récompenser un livre audacieux qui interpelle son lecteur.
Le jury du prix Goncourt, à une voix près, a failli prendre un autre risque, celui de récompenser un livre audacieux qui interpelle son lecteur.
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