Nouvelliste de premier ordre, Peter Stamm n'a pas encore la reconnaissance du public français pour la raison que la nouvelle n'est pas vraiment lue en France.
C'est bien dommage mais nous pouvons, nous libraires et autres lecteurs professionnels, recommander encore et toujours cet art difficile de l'écrit court qui, le plus souvent, se révèle être un sommet de maîtrise narrative.
Ce magnifique recueil publié aux éditions Bourgois, Peter Stamm l'a écrit à la manière d'un peintre, d'un portraitiste qui ne néglige pas pour autant le paysage. Prenons Les estivants, un écrivain choisit de se retirer dans un hôtel à l'écart du monde. Il réserve par téléphone et tombe sur une femme censée l'accueillir à son arrivée. Quelques jours plus tard, un taxi le dépose à deux heures de marche de l'hôtel en question. Il arrive sur son lieu de résidence et constate que l'hôtel ne semble être ouvert que pour lui. La femme du téléphone le reçoit en toute simplicité. Il veut dîner. Elle lui ouvre alors une boîte de conserve et il débouche lui-même sa bouteille de vin. Elle lui indique vaguement sa chambre puis disparaît. Il la retrouvera le lendemain allongée dans une chaise longue au soleil. Dès lors, une mystérieuse relation s'instaure. L'écrivain s'interroge sans s'offusquer sur cette étrange façon de tenir un hôtel. Non loin, un torrent gronde. C'est là que la femme s'approvisionne en eau.
Peter Stamm a un talent certain pour construire ses personnages plus particulièrement féminins. Ainsi, Dans la forêt retranscrit la confession d'une lycéenne ayant vécu trois ans dans ladite forêt, trouvant là un refuge qui l'éloignait de ses parents chez qui elle se sentait maltraitée. La forêt lui est une alliée où elle apprend à se cacher sans jamais laisser de traces. Un chasseur pourtant l'épie à distance. L'adolescente continue de se rendre à l'école et s'escrime à vivre clandestinement. Ce jeu de cache-cache est une façon de découvrir le monde vu de la forêt. Eviter les bûcherons, prévoir les joggeurs, les promeneurs et composer avec le froid, la nuit et la solitude. Cette surprenante nouvelle s'étire dans l'intimité d'une jeune fille qui reviendra parmi les hommes, se mariera, aura des enfants mais continuera de se cacher en travaillant dans une librairie...
Peter Stamm a cet art naturel d'épaissir le mystère. Il travaille autour des existences en y laissant apparaître des failles. Un concierge, un agriculteur, une pianiste, un pasteur sont brossés dans le sens de leur vie intérieure, là où se fabriquent des protections qui peuvent soudainement céder à la première pression. La précision du trait, la patience de cette élaboration offrent la possibilité d'une identification immédiate qui puise dans une source fragile la prééminence du sentiment. D'où l'universalisme du propos et le paradoxe singulier des vies qui nous sont décrites.
Mais c'est avec Sweet dreams que Peter Stamm évoque le mieux l'extrême fugacité des événements. La psychologie d'une jeune femme nommée Lara est mise à mal par l'instabilité de ses sentiments dans sa vie de couple avec Simon. L'inquiétude de Lara, l'intuition de la fin possible de sa liaison affleurent puis s'amplifient sans raison sinon dans l'imagination galopante que suscite le mystère d'une vie à deux.
Peter Stamm redouble d'ingéniosité lorsqu'à la fin de cette fugue narrative un écrivain surgit à la télévision et déclare combien l'observation d'êtres inconnus sert de détonateur à ses propres fictions. Lara reconnaît cet homme qui l'avait fixée longuement dans le bus au retour de son travail. Et l'exemple alors fourni par l'écrivain lui fait croire un temps qu'il a mis à jour ses tourments. Un détail pourtant l'exempte tout à fait.
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