Les saisons de Maurice PONS aux éditions Christian Bourgois, collection Titres, 7.50 euros.
L’évènement est passé inaperçu pour de multiples raisons mais nul doute que quelques lecteurs auront vibré à l’annonce de ce « diamant noir » de la littérature française enfin accessible en collection de poche.
Il faut dire qu’il y a à faire lorsqu’on daigne se pencher sur le catalogue de cet éminent découvreur que fut Christian Bourgois capable des années durant d’acheter chaque dimanche l’édition du journal Sud-Ouest à la seule fin d’en découvrir les articles gastronomiques d’Alain Aviotte qu’il finira par publier sous la forme d’une compilation titrée Artichaut.
Mais trêve d’anecdote, Christian Bourgois n’est plus, et une nouvelle équipe, après quelques soubresauts bien naturels dans le monde de l’édition, s’est penchée sur le dit catalogue d’homme de lettres que fut Christian Bourgois et a constaté, oh misère ! qu’un des livres les plus cultes de la maison n’était point encore passé dans la collection de poche de celle-ci.
Il s’agit donc de Maurice Pons, un auteur français et son livre Les saisons déjà publié en 1960 sous le nom de La vallée par un autre très grand éditeur : Maurice Nadeau.
Alors qu’en est-il de cet auteur dont Les saisons n’a jamais cessé d’être publié et que l’on se transmet comme un classique d’un genre indéfinissable ?
Alain Rey, autre immense connaisseur et savant de la littérature (en plus de son œuvre sur la l’histoire de la langue française) rédigea une notice à son propos :
« Maurice Pons parle de l’essentiel, qui est le temps humain (l’enfance, la vie, la mort), avec un dosage du drame le plus réel et de l’humour le plus distant. »
Il y parle encore de « brassage de fantasmes partagés » et « des prestiges du récit d’humeur et d’humour»
« Prose précise, aiguë, poétique » Alain Rey conclue par « Le symbolisme de Maurice Pons, est rendu léger par l’humour; l’humour n’est jamais gratuit.»
Ainsi l’humour est noté quatre fois, ce qui n’est pas rien quand la notice tirée du Dictionnaire des littératures de la langue française (Bordas) n’excède pas une trentaine de lignes, référence bibliographique comprise.
Les saisons demeure le livre le plus connu de Maurice Pons et l’on trouvera une adaptation cinématographique sortie en 2016 de Sylvie Habaut avec, entre autres, Denis Lavant et Michaël Lonsdale.
Comment dès lors donner l’envie de lire Les saisons à ceux, curieux, qui en ignoraient jusqu’ici l’existence ?
L’histoire débute par l’installation d’un homme (errant ?) dans une remise dûment louée par la tenancière d’un lieu servant d’hôtel, de bar et de restaurant. Les conditions s’avèreront très vite déplorables mais l’homme nommé Siméon entend bien dans ce lieu jugé bénéfique réaliser une œuvre littéraire d’importance, éludant au possible les contrariétés qui vont aller s’accumulant dès son premier jour dans ce village.
L’enthousiasme ne suffit pas toujours ni l’aveuglement car telle est la supposition que l’on peut déduire à mesure que le récit développe les mœurs et usages locaux. Mais la plainte, si elle doit s’exposer doit être établie en vertu d’une comparaison envers autrui or il se trouve que les habitants ne sont guère mieux lotis que Siméon.
Seule différence notable, Siméon indésirable dès son arrivée ne trouvera que peu d’alliés mais suscitera de vifs débats sur son état d’homme au sein du village. On peut s’esclaffer ou s’effrayer du jugement dépourvu de lucidité qui tient le roman tout son long. Les épisodes s’enchaînent vécus depuis le point de vue de Siméon et la détérioration globale de la santé de ce dernier participe au grotesque des situations. Les intempéries frappent sans cesse le village dont on peut croire qu’il vit un incessant hiver bercé tantôt de pluies interminables, tantôt de neige et de gel pareil aux glaciers des hautes montagnes. L’histoire d’ailleurs se conclue au sommet d’un col montagneux où l’absurde tient là son paroxysme.
Conte cruel et drôle à la fois, il n’y aurait qu’une réjouissance un brin perverse à lire Les saisons s’il n’était servi par la limpidité de son écriture, toujours ténue, éblouissante par instant, mesurée par le propos d’un honnête homme sombrant peu à peu dans un univers vulgaire qu’il ne se résout jamais à rejoindre. La dignité demeure jusqu’au bout comme ces hommes qui, embarqués dans l’effroi, surent maintenir jusqu’au bout la noblesse de leur esprit. En cela, Les saisons touche au chef d’œuvre.