Les fantômes voyageurs de Tom DRURY aux éditions Cambourakis, 21 euros.
Tom Drury finira bien par obtenir une reconnaissance internationale, certes, en tant que citoyen américain né dans l'Iowa, cela se produira un peu plus longuement que s'il vivait à New-York ou Los Angeles mais peu importe, les grands écrivains savent que la reconnaissance n'a rien d'urgent lorsque la littérature est véritablement leur source d'inspiration.
Les fantômes voyageurs est un opus supplémentaire à la vie du comté de Grouse, une région des États-Unis que l'on appelle le Midwest (au milieu en haut à droite lorsque l'on regarde la carte du pays). Ce pourrait être dans l'Iowa là où est né et vit l'auteur.
Les fantômes voyageurs nous parlent d'une famille américaine désaxée juste ce qu'il faut comme le sont tous les habitants moyens de la contrée. On apprend petit à petit leurs erreurs, leurs dévoiements, ceux du père de famille et ceux de sa femme, un couple qui s'est unis tardivement après qu'il aient vécu chacun de leur côté une autre vie.
Lui s'appelle Charles Darling, aujourd'hui c'est un plombier plutôt habile qui tâte un peu de la bouteille mais ce n'est pas le principal motif de la sourde inquiétude qu'il traîne avec lui. Le vrai motif, c'est elle, Joan, avec qui il s'est marié donc il y a quelques années de cela et avec qui il a eu un fils, le splendide Micah âgé de sept ans maintenant.
Joan le trouble toujours autant, elle l'impressionne et il ne sait toujours pas ce qu'elle a vraiment dans la tête. Joan est une ancienne comédienne, elle a été mariée et a eu (avec un autre homme) une fille, Lyris, qui a été placée un certain temps au 4H (?) une fondation pour les jeunes issus d'un milieu rural et en difficulté.
"- Health, hands, heat, la santé, les mains, la tête dit Charles. A quoi correspond le quatrième H ?
- Hearth, le coeur, répondit Lyris."
Lyris n'est revenue dans le cocon familial qu'il y a quelques mois, elle ne se sent pas encore totalement appartenir à cette famille qui est pour autant la sienne mais ses rapports avec Micah et Charles sont complexes, méfiants peut-être et débutants assurément. Joan, quant à elle, a longtemps été prosélyte avant de prendre la tête d'une association de défense des animaux.
C'est au cours du week-end qui s'annonce que vont se dérouler d'importantes modifications dans la vie de chacun, Joan se rend a une conférence à plusieurs centaines de kilomètres du foyer familial, ce qui va perturber Charles qui décide de son côté d'aller récupérer un fusil de chasse chez une voisine qui refuse de le lui vendre. Mais nous sommes à la campagne, les distances peuvent être longues et Charles prend un risque en laissant les enfants seuls à la maison. D'une certaine manière, il renoue avec son passé qui lui a fait connaître la prison. Et les enfants, forcément, vont eux aussi vivre chacun une histoire singulière, une histoire d'enfant, une histoire d'adolescente...
On ne peut pas s'ennuyer avec Tom Drury, il y a chez lui une une pensée permanente en chacun de ses personnages, une élaboration du monde qui entraîne la psychologie complète d'un individu, l'intimité se dévoile avec tout le recul que nécessite le fait de vivre dans un coin perdu de l'Amérique. Tom Drury ménage ses effets, son écriture est ralentie et précise, toutes les décisions que vont prendre Charles, Joan, Micah et Lyris nous sont proches, nous vivons à leurs côtés. Là réside toute la force du roman de Tom Drury, faire de ses personnages des amis pour le lecteur qui sont bien des fantômes voyageurs. Ils hantent notre esprit tout en se déplaçant en un lieu inconnu de nous mais formidablement familier sitôt refermée la dernière page de ce livre.