Voilà bien longtemps que le bonheur est dans les poches, les éditeurs l'ont bien compris puisqu'il ne se passe plus un an sans l'éclosion d'une nouvelle collection. Raison de plus pour les vieilles collections (Livre de Poche, Folio, Points, 10/18...) de leur tenir la dragée haute. Plus il y a de monde, plus on rit.
La bascule du souffle d’Herta MÜLLER Folio Gallimard 6,80 euros.
Prix Nobel 2009, Herta Müller était passée largement inaperçue en France. Troisième livre traduit après Le renard était déjà le chasseur et La convocation, La bascule du souffle offre la singularité d’être né à quatre mains avant que le protagoniste principal Oskar Pastior ne s’éteigne en 2006. Oskar Pastior qui prend le nom de Leopold dans le livre est déporté en 1945 dans un camp russe pour la raison qu’il est allemand ou d’origine allemande bien que vivant en Roumanie.
Ce roman qui prend possession de la langue d’un déporté ne donne pas une réalité précise de ce qui s'y déroule ni des raisons qui ont amené des centaines de personnes dans ce camp. Le fonctionnement du camp est décrit tel que Léopold le voit du haut de ses 17 ans, une incompréhension tranquille voire docile, une accoutumance inquiètante aux excès et le sentiment quasi immédiat d’appartenir à une collectivité et à ses lois, ceci pour un temps indéterminé et même infini.
La rudesse de l’épreuve au froid, à la faim, à une lente déshumanisation provoque en Léopold, bien au-delà d’une initiation, la naissance d’un univers fermé et protecteur, reconstruit après chaque tentative d’oppression supplémentaire et, en fin de compte, adapté à la résistance d’une vie rendue hostile à l’extrême.
La force d’Herta Müller vient de cette reconstitution mentale et littéraire d’un jeune homme qu’elle-même aurait pu croiser dans ce camp sans pour autant reproduire un témoignage posthume mais plutôt une création contemporaine telle que le théâtre et autres spectacles modernes l’entendent.
Le siècle des nuages de Philippe FOREST Folio Gallimard, 7,30 euros.
Le père de Philippe Forest fut commandant de bord à Air France durant de nombreuses années sur plusieurs avions et sur des distances souvent longues. On se doute que Philippe Forest ne l’ai pas souvent vu. Maintenant qu’il est parvenu à l’âge où l’identification à ce père volant est devenue prégnante, il s’attache, en écrivain, à une reconstitution d’une vie un tant soit peu discontinue.
Plus gros morceau, la Deuxième Guerre Mondiale qui surgit après les premiers tressaillements de l’aviation et de ses ouvreurs légendaires (Mermoz, Lindbergh, Blériot…). 1940, Mâcon est une ville comme les autres, en débâcle. Hardiment, Philippe Forest règle l’histoire d’amour de ses parents lors d’une expédition à Nîmes. Il s’agit bien, tout le long, de trouver la bonne distance, la bonne hauteur et d’appuyer là où finalement ça compte vraiment en insérant si possible une position historique qui ne colle pas forcément à celle du père dont il observe pourtant à la loupe la volonté de devenir aviateur.
Ce double décryptage de cinq cent pages s’empêtre parfois dans le souci de trouver une justesse avec l’histoire, la guerre notamment et l’éclairage sur les difficultés évitées par le père que le fils n’ose endosser. On pense alors rencontrer les voies empruntées par Jean Rouaud dans Les champs d’honneur mais Philippe Forest reste sur une ligne dite d’histoire collective et accompagne celle de l’aviation par le biais des ironiques tribulations de son père dont la carrière de pilote de chasse avortera au profit de celle, peut-être plus digne, de pilote de ligne.
La fin du roman persévère dans une sorte de ménagement à l’égard de ce père en refusant d’entrer frontalement dans la tragédie que L’enfant éternel avait relaté. On comprend parfaitement que l’auteur n’est point voulu y revenir longuement mais l’ébauche d’une explication de la mort du père qui n’aurait pas supporter la perte de cette enfant (sa petite fille) n’arrange rien au sentiment que cet écrivain aussi indubitablement intelligent que sensible, ne soit pas encore parvenu à écrire une histoire qu’il semble encore garder en lui. Cette douleur, qui est associée à une écriture sans conteste admirable, la contient forcément mais ne l’évacue pas. D’autres livres à venir y parviendront certainement.
Suite(s) impériale(s) de Bret Easton ELLIS, Pocket 7,10 euros.
Suite(s) impériale(s) rappelle, vingt cinq ans après, deux personnages issus de Less than zero publié en 1984 qui figurait la vie de jeunes nantis de Los Angeles. Deux d’entre eux sont propulsés en 2010 dans Suite(s) impériale(s) qui s’apparente à une série télé dont Clay, premier revenant, écrit les scénarios. Son retour à Los Angeles - il vivait à New York - correspond au casting hollywoodien de sa dernière production intitulée « Les auditeurs ».
Clay appartient au gratin du cinéma, tout comme Bret Easton Ellis à celui de la littérature. Dans cette faune cinématographique, Clay navigue à vue au gré des fêtes de la Côte Ouest où il est connu et reconnu, notamment de Blair, seconde revenante de Less than zero, mariée et stabilisée mais que le retour de Clay à Los Angeles semble agiter.
Un soir, une fille nommée Rain accompagne Clay dans son appartement qui n’est pas vraiment un appartement mais une maison très protégée où l’on surveille, entre autre, sa BMW. Rain parvient à provoquer chez Clay un énorme désir qui pourrait bien l’aider à obtenir un rôle pour « Les auditeurs » sur lesquels Clay a un droit de regard.
Le roman lui-même devient alors comme phagocyté par le style des séries télés, les séquences sont courtes, les dialogues omniprésents, les interrogations permanentes, les rebondissements réguliers et le suspense toujours actif, tout cela au coeur de décors impériaux car Los Angeles, au contraire de New York dont Clay s’est détaché, revêt une forme outrancière dont Bret Easton Ellis a su en tirer une des parts les plus mystérieuses.
Nous étions des êtres vivants de Nathalie KUPERMAN aux Folio Gallimard 5,95 euros.
Avec un titre présomptueux Nathalie Kuperman fausse la direction de son roman. Certes, il existe bien un choeur pour souder les salariés d’une entreprise malmenés par leur nouveau patron mais chacun y va de sa propre initiative, le choeur se délite et le roman pousse vers des itinéraires bien distincts et veules.
L’exercice valait la chandelle, le monde de l’entreprise pris dans un flux de conscience peureuse, insidieuse et maltraitée renvoie à une actualité proche dont le tempo n’est pas rassurant. Sous le couvert de mouvements variables, les voix aguerries de Nathalie Kuperman tissent théâtralement une toile nauséabonde, sans invectives mais dont les manoeuvres de sauvegarde pour l’emploi peuvent à chacun paraître cruellement familières.
Lu d’une traite ou presque, l’attachement à ces êtres vivants est réel, leurs vies souvent proches du désastre n’en sont pas moins complexes et les démarches qu’ils entreprennent, légitimes. A l’image des cobayes, ces personnages évoluent dans un espace réduit et toujours visible, leurs mouvements hypnotisent autant que leur pauvre voix fuyant l’affolement.
Vice caché de Thomas PYNCHON Points Seuil, 8,00 euros.
1970, un détective privé nommé Doc Sportello s’enquiert du sort d’un promoteur régnant sur l’ensemble de la Californie du Sud. Shasta, petite amie de l’un puis de l’autre, s’est présentée en coup de vent au cabinet du Doc et lui a demandé ce petit service.
Quoi d’autre ? Un brossage en règle de toute la faune de Los Angeles. Alors branchez vos écouteurs, les voix sortent de partout… Le procès de Charlie Manson arrive, la musique surf s’invite, les bagnoles sont rutilantes, décapotées, « planantes », il y a des hippies partout qui s’acharnent à mener leur vie à la cool, les produits dopants abondent au coeur de cette splendeur psychédélique et Doc, le détective, ne s’en prive pas bien qu’il s’en tienne, si possible, à la marijuana.
Malfrats, barjots, policiers, pègre, illuminés, Thomas Pynchon nous régale de situations et de dialogues truffés de bons mots, de délires extravagants, une bouillie informe dont il est impossible de décrocher. Et si son enquête manque à chaque fois de lui retomber dessus, les codes du polar, eux, omniprésents, s’enchaînent d’une manière survoltée. C’est un grand n’importe quoi qui cependant tient la route, Doc n’étant toutefois jamais loin de la rupture, entouré d’improbables farfelus de cette décennie frénétique des années 70.
Le « gonzo » H.Thompson devait lui aussi s’agiter par là avec, non loin, Clint Eastwood alias l’inspecteur Harry ou encore la chevauchée burlesque d’Apportez-moi la tête de Rodrigo Garcia… Thomas Pynchon avait donné un livre tout aussi épique avec La vente à la criée du lot 49. N’ayant lu ni V, ni Vineland, ni l’Arc en ciel de la gravité, ayant abandonné Mason et Dixon à mi pente, étant resté sur les contreforts de Contrejour, avec Vice caché, cette fois, je suis allé jusqu’en haut et au bout de ce polar grandiose qui réhabilite un pan de la culture américaine ou de sa contre-culture.
Le mythe éblouissant de la liberté et de la paix est ici malmené par des pontes beaucoup plus puissants mais il n’y a pas de nostalgie chez Pynchon, ni d’analyse générationnelle, il a plutôt choisi de redonner son énergie à cette époque en lui offrant énormément de dialogues suivis de réajustements qui laissent entrevoir que ce livre a bien été écrit dans les années 2000.
Enfin, ce qui compte vraiment c’est le souffle de cet incroyable romancier qui, telle la vague hallucinante qui finit par surgir à la toute fin du livre, interroge encore sur la personnalité de Pynchon.
Un collectif ? un génie ? Un maître américain de la littérature contemporaine, un être surpuissant qui fait terriblement du bien.
Et puis, et puis...
La Gifle de Christos TSIOLKAS, 10/18, 9,60 euros. La révélation australienne 2011 où comment un barbecue dégénère à partir d'une gifle infligée à un enfant.
Arrêtez-moi là ! de Ian LEVISON, Liana Levi Piccolo, 9,30 euros. Un écossais new-yorkais s'emparant d'un chauffeur de taxi pour mieux décrypter les comportements américains. Yes !
Charly 9 de Jean TEULE, Pocket, 6,10. Jean Teulé poursuit sa destinée de romancier à succès en contant une histoire de France à rebours. Imparable.
Rose de Tatiana de ROSNAY, Livre de Poche, 6,90 euros. Tout le monde a en mémoire Sarah. Rose est une autre héroïne qui vit au temps du baron Haussman et de ses célèbres boulevards. Livre poignant à lire absolument si ce n'est déjà fait!
Rosa candida d'Audur Ava OLAFSDOTTIR, Points, 7,50 euros. Le phénomène islandais arrive en poche. Serez-vous le 100 001ème lecteur heureux ?
Apocalypse bébé de Virginie DESPENTES, Livre de Poche, 7,10 euros. Le prix Renaudot rock'n roll 2010 est enfin dans les bacs, pardon, dans les (bonnes) librairies !
Chevalier de l'ordre du mérite de Sylvie TESTUD, Livre de Poche, 6,60 euros. Pour une immersion totale dans le récurage, Sylvie Testud nous reste malgré tout sympathique.